Le massacre d’une population innocente
à Marsoulas en Comminges, le 10 juin 1944
 

Marsoulas, petite bourgade du Comminges comptant quelque 125 habitants vit sa deuxième année d’occupation, de restrictions, de morosité. Pourtant, la radio a annoncé le débarquement des troupes alliées en Normandie. Chaque soir, les adultes écoutent religieusement l’avancée de nos forces. Au village, tout le monde espère la fin de la guerre proche : quatre des leurs sont encore prisonniers en Allemagne ou en Pologne, et l’inquiétude règne sur leur sort. D’autres se cachent pour échapper au STO. La rumeur court que les hommes valides risquent d’être pris au cours de rafles organisées par l’occupant. Ainsi, beaucoup d’entre eux n’hésitent pas à aller dormir hors de leur maison afin de ne pas être pris lors d’une perquisition.

Les maquis du Sud-Ouest

Depuis le jour «J» du débarquement, on sent les allemands nerveux, d’autant plus que la Résistance les harcelle constamment. Les maquis sont, en effet, bien implantés dans cette région des Petites Pyrénées. Le relief aidant, c’est à la lisière des grandes surfaces boisées que les cantonnements sont établis pour des raisons stratégiques, certes, mais aussi en fonction des cibles à atteindre : usines, noeuds de communication routières ou ferroviaires. Ces positions retranchées facilitaient le repli immédiat en cas d’attaque surprise, excluant l’utilisation par l’ennemi d’armes lourdes. Elles permettaient encore d’atteindre les lieux de parachutage préalablement choisis et balisés. Passée la cluse de Boussens, il n’était pas surprenant de rencontrer dans cette région du bas Salat les maquis de Betchat et de Bélesta. Salies-du-Salat était en outre une formidable pépinière de résistants, qui s’étaient déjà illustrés en attaquant, par exemple, «le photographe», collaborateur notoire, qui réussira d’abord à s’enfuir, puis repris et pendu plus tard par le maquis de Bélesta.

Le maquis de Betchat

A Betchat, la 3 401ème compagnie FTPF sous les ordres de Jean Blasco (capitaine Max) a reçu de nombreux renforts de volontaires en cette période du 6 juin, date du débarquement allié. Les sabotages se multiplient dans le secteur et plus particulièrement vers Mazères et Boussens. Il faut dire que Boussens était un point stratégique par excellence : gare ferroviaire sur la ligne Bayonne-Toulouse, noeud ferroviaire et routier en direction du Couserans et de Saint-Girons. C’est aussi à Boussens que la Compagnie Française de Raffinage produisait huiles et essences nécessaires aux allemands, surtout pour leurs déplacements. Pourtant, la cité était bien défendue puisque l’Etat-Major ennemi avait installé là une garnison de 300 mongols.

A Figarol, le nouveau maquis ORA, à la suite de L. Durrieu, bien connu à l’usine des papeteries Lacroix à Mazères, échoue dans sa tentative de récupérer des armes chez l’ennemi.

Le maquis de Betchat, le 8 juin, avait réussi un sabotage spectaculaire sur la voie ferrée entre Boussens et Saint-Gaudens. Un poste de garde avait été attaqué sur un chantier de forage, près de Laffitte-Toupière. Trois soldats et un officier ingénieur furent capturés et amenés prisonniers par les maquisards.

A Marsoulas

Tous les jours les habitants de Marsoulas ont l’habitude de voir revenir les résistants de leurs opérations. Certains sont même connus de la population. Nous sommes en juin, les travaux des champs sont bien avancés et ce village, essentiellement agricole, a déjà fauché une bonne partie de l’herbe qui sera engrangée pour l’hiver. Le dimanche onze juin, ce sera la Fête-Dieu. Les reposoirs ont été dressés à la chapelle de N.D. de Bon Secours et à la Croix de Mission en face de la mairie. Au cours de la procession, les enfants iront jeter des pétales de fleurs en suivant le Saint-Sacrement. Les familles, comme le veut la tradition, ont confectionné des habits de cérémonie, sortes d’aubes blanches, pour les enfants. Depuis le début de la guerre, la population a quelque peu évolué. Si la majorité des maisons est occupée par des exploitants agricoles, propriétaires de leurs terres, d’autres sont occupées par des artisans ou des ouvriers. La vallée est bien industrialisée. A Mazères du Salat, les usines Lacroix, spécialisées dans la fabrication du papier à cigarettes, occupent plus de cinq cent personnes. Plusieurs viennent de Marsoulas, distant de 5 km et ils font souvent le chemin à pied. Les Salins du Midi, à Salies, et les usines de Boussens fournissent quelques emplois. Il y a encore des journaliers qui prêtent leur concours aux agriculteurs ou autres exploitants.

Entre le 16 mai et le 22 juin 1940, trente réfugiés venant de la région de Louvain, en Belgique, ont été accueillis à Marsoulas. Ils ne resteront pas longtemps.

Par contre, la famille Galli, arrivant de Kirchberg, village alsacien du Haut-Rhin, près de Than, était encore au village la veille du 10 juin. Elle s’était installée dans la maison appartenant à Jean-François Blanc, dit «Mérotte» et dans d’autres maisons, depuis le 14 décembre 1940.

Durant les mois d’avril et mai 1944, la famille Saffon et les jumeaux Barbe étaient venus se réfugier à Marsoulas pour échapper aux bombardements que subissait la ville de Toulouse. Denise Ardichen, pour la même raison, venue de Perpignan, résidait chez M. Hernando. Les enfants nouvellement arrivés avaient été aussitôt scolarisés et rien ne laissait présager le malheur qui allait s’abattre sur le village.

Espoir malgré tout

Certes, depuis la déclaration de guerre, les bals publics avaient été interdits, mais la jeunesse avait trouvé des palliatifs. Gaston, avec son accordéon ne se privait pas d’égrener quelques notes, les soirs de fête, dans une grange aménagée et bien cachée. C’était l’époque des tickets de rationnement, des réquisitions, mais nous étions à la campagne et quelques malheureuses bêtes tombaient parfois sous le couperet clandestin, pour être réparties ensuite dans la population. Le chef-lieu de canton, Salies-du-Salat, restait un point de rendez-vous, les jours de foire, et beaucoup s’y rencontraient.

La vie allait son train. Il y avait même promesse de mariage entre des jeunes filles de Marsoulas et des jeunes gens de Cassagne. Hélas, l’un d’eux n’eut jamais lieu, la promise ayant croulé sous les balles des assassins.

Ainsi Marsoulas attendait, en ce début du mois de juin, des jours meilleurs qui lui étaient annoncés. Mais le destin en avait décidé autrement.

La Division Das Reich

Le 6 juin à l’aube, les forces alliées débarquaient en Normandie. C’était l’opération «Overlord» destinée à libérer le sol français et à mettre fin à la barbarie nazie et à ses exécutants.

Comment les forces d’occupation reçurent-elles l’information et suivirent-elles l’évolution du front ? Surpris, certainement, blessés et humiliés, peut-être. La réaction ne se fit pas attendre. Même si la décision de faire un coup de force contre la Résistance dans le sud du département avait été envisagée de longue date, le 9 juin, le 3ème bataillon du régiment Deutschland appartenant lui-même à la division SS Das Reich, fut désigné pour participer à la répression. Il était composé de quatre compagnies. Celles-ci étaient cantonnées dans la vallée de l’Ariège, dans les localités de Venerque, Le Vernet et Crépiac. Si l’objectif principal était la région de Tarbes fortement ébranlée par des sabotages permanents, la répression devait se porter, en passant, sur le maquis de Betchat et les localités proches de Saint-Martory. Des troupes basées à Saint-Girons appuieraient l’opération, tous devant essayer d’intimider les populations, soupçonnées d’apporter leur aide aux Résistants, présentés comme des terroristes.

Les quatre compagnies quittèrent la région toulousaine pour se diriger vers le sud par la RN 125. Au croisement de cette voie avec la RD 6 à hauteur de Cazères, le convoi se scinda en deux pour atteindre Betchat, l’un par Boussens, Cassagne, Marsoulas, l’autre par Cazères et Fabas. Pour mémoire, rappelons que la division Das Reich était commandée par le général Lammerling. Le troisième bataillon était sous les ordres du commandant Schreiber et la 10ème compagnie, qui se dirigea vers Marsoulas, avait à sa tête le lieutenant Gross.

Des maquisards en alerte

Même actuellement, lorsqu’au lever du jour, au printemps, le ciel apparaît fort bas et qu’un léger crachin commence à humecter les herbes et les feuilles, il se dit encore : «C’est un temps du 10 juin !».

Il en était ainsi lorsque dans le village endormi ou qui s’éveillait à peine, deux maquisards venant de Betchat et missionnés, se dirigeaient vers Cassagne afin de repérer les mouvements des troupes occupantes. Le capitaine Max, commandant du maquis, avait été informé que des actions de représailles se préparaient et que de nombreuses troupes se dirigeaient vers les Pyrénées. Il n’était pas sans savoir que lui-même avait en garde des prisonniers allemands et que ceux-ci étaient peut-être recherchés. Il savait certainement aussi que nul n’ignorait l’existence et la position du maquis de Betchat tant ses actions étaient déjà repérées par la Gestapo ou la Milice. Ce matin-là, deux jeunes hommes (ils devaient être trois mais l’un était malade) étaient partis en observation. L’un s’appelait Camille Weinberg, âgé de 31 ans, né en Meurthe-et-Moselle et alsacien ayant échappé à l’enrôlement d’office par les allemands. Il était armé d’un fusil Mauzer et avait un ceinturon, une cartouchières et 31 cartouches, comme cela ressort du reçu délivré lors du dépôt de l’arme en gendarmerie de Salies le lendemain. Dans ses poches, une grenade. Les instructions étaient claires : prévenir le maquis de Betchat par tous moyens, si ce dernier devait être attaqué.

Son camarade s’appelait Jean-Marie Manens, connu sous le pseudonyme de «Espérance». Né en janvier 1928, il venait donc d’avoir 16 ans. Il était armé d’une mitraillette Sten et possédait aussi au moins une grenade défensive.

Les guetteurs prennent position

Dans l’aube naissante, et sous une pluie fine, Manuel Hernando, qui habite à côté de la mairie, voit passer les deux hommes ; il leur demande s’ils ont besoin de quelque chose. Ils le remercient et poursuivent leur route vers l’église. Ayant passé celle-ci et continuant à descendre vers Cassagne, ils s’arrêtent un instant à la hauteur de la chapelle du Bon Secours. C’est à cet instant que des bruits de fusillade et surtout de moteurs parviennent à cet endroit de Marsoulas. Après s’être concertés, Weinberg proposa d’aller se réfugier sur une hauteur et d’essayer de voir ce qui se passait dans la plaine. Il faut préciser que la route venant de Boussens en prenant par Roquefort et Cassagne monte par paliers jusqu’à Betchat, les villages constituant, en quelque sorte, des terrasses : la vallée du Salat est un peu plus bas. Suivant les instructions reçues, Weinberg décide de se positionner dans l’église. Juchés sur le toit et cachés par le clocher, ils seraient à même de surveiller ce qui se passait en aval. C’est ainsi que les deux hommes s’installèrent en ce lieu d’observation, Weinberg sur le toit lui-même et Espérance derrière le clocher, placé là par son aîné.

Pendant ce temps, à Betchat, Léonie Rives, fille du charron du village, Jean-Marie, s’apprêtait à enfourcher sa bicyclette pour descendre à Mazères amener et ramener le courrier. Le jour à peine levé, elle partit donc vers Cassagne et Mazères et traversa Marsoulas. Elle passa devant l’église et descendit jusqu’à ce qu’elle aussi entende des bruits de moteur.

Le passage à Cassagne

A Cassagne, village semblable à Marsoulas mais avec une population plus importante, les premiers coqs se mirent à chanter. Le jour se levait aussi et à l’entrée nord du village, sur la route principale, après le croisement de Salies, Jean Dupeyron et Alfred Dargein échangeaient quelques propos, chacun sur le pas de sa maison. Jean Dupeyron à droite en regardant Mazères voit le premier arriver le convoi allemand. Avec sang froid il dit à Dargein en patois gascon : «Nou bouges pas, es allemants qu’arribon» (Ne bouge pas, les allemands arrivent). Tous deux impassibles, le convoi passe avec peut-être deux voitures découvertes à l’avant, suivies par plusieurs camions bâchés, laissant apercevoir les soldats. (Nous n’avons aucune certitude quant à la composition du convoi, plusieurs descriptions différentes en ayant été faites. Retenons par défaut deux véhicules légers, six camions bâchés, cent vingt hommes).

Quelques mètres plus haut, en montant sur la gauche, se trouve la ferme Saleich. Personne n’est encore levé. C’est dans cette maison qu’habite Jean Blanc, maire de Marsoulas, venu gendre à Cassagne où il a épousé Jeannette, en mai 1934. Jo, leur aîné, avait 9 ans, le cadet, auteur de ces lignes, trois puisque né en 1941. Toute la famille était là ainsi que les parents de Jeannette, Jean et Ida Saleich et la soeur de Jeannette, Marinette Saleich.

Jean Blanc était entrepreneur de bâtiment et il exploitait une scierie mécanique. A cette heure matinale, les bêtes n’étaient pas levées dans l’étable et elles attendaient leur ration de foin avant d’être conduites au pré. L’ouvrier dormait aussi.

Maire de Marsoulas, Jean Blanc avait été élu en 1935 pour la première fois : il était alors le plus jeune maire de France. Sa famille occupait la maison familiale à côté de l’église où étaient restés sa mère, Joséphine, sa soeur Julie et son mari, Jean Cazenave, ainsi que leurs trois enfants, Gaston, Paulette et Paul, respectivement âgés de 22, 20 et 9 ans. Dans la journée, Jean-François Blanc, dit «Mérotte» quittait sa propre maison en haut du village pour venir vivre et travailler dans la famille Blanc/Cazenave, qui exploitait une propriété.

Dans la maison Saleich, à Cassagne, tout le monde dormait ou presque lorsque se fit entendre le bruit des camions arrivant à l’entrée du village.

Jean Blanc était réveillé. Il saute du lit pour voir par la fenêtre ce qui se passait. Il croira au premier abord que le maquis de Betchat remontait vers Marsoulas après une expédition de sabotage vers Boussens. Il en informe son épouse, mais en observant mieux, il reconnaît les Allemands dans leur uniforme. Mobilisé en septembre 1939, il avait eu l’occasion de les affronter lors des combats de mai 1940 à la frontière belge, avant d’échapper à leurs griffes au cours de la retraite. La réaction fut soudaine. Au courant qu’une rafle guettait les hommes valides, il était aussi inquiet d’être personnellement recherché. En effet, entrepreneur en maçonnerie et Travaux Publics, il détenait, dans des carrières qu’il exploitait, quelques pains de dynamite. Certains disparaissaient parfois pour d’autres buts que celui de faire éclater les pierres. Les dénonciations n’étaient pas impossibles. Inquiet aussi, car en qualité de maire, tout pouvait arriver.

Après en avoir informé toute la famille qu’il réveilla rapidement, il partit avec Dame, l’ouvrier agricole qui dormait dans une dépendance de la ferme, dans la cour, non sans avoir pris le café que Ida avait fait réchauffer. Ils allèrent se réfugier dans le jardin de famille, chemin du Barry, qui dominait toute la plaine du Lens. Ce n’était pas l’affolement général puisque, ne voyant personne stationner sur la place près de la maison, ils en avaient conclu que la colonne se dirigeait vers Betchat à la poursuite des maquisards. A la ferme, chacun vaquait à ses occupations. Jean Saleich alla faire lever les bêtes pour les amener ensuite pacager au bord de la rivière, à la Rivalère. Jeanne Blanc descendit, en passant par le Barry, vers le quartier de Haraypey où Robert Dupuy abattait clandestinement pour subvenir aux besoins du village en viande.

Tapi dans le jardin, Jean Blanc pensait à la colonne qui s’était dirigée vers Marsoulas. S’il n’avait pas plu, il était prévu qu’il soit au lever du jour chez sa mère Joséphine et son beau-frère où un ouvrier maçon, Carbo, l’attendait pour commencer à crépir les porcheries. La pluie tombant, il ne s’était pas pressé et s’était trouvé par hasard à Cassagne lors du passage des camions allemands.

En haut du village, Emile Coumes, qui avait fait son service militaire dans les chasseurs alpins, s’était retiré dans les latrines en planches dressées au fond du jardin, tout proche du chemin départemental. Il put ainsi voir passer toute le colonne à travers les interstices des lames de bois, à l’abri des regards des SS. Son père, qui balayait devant la porte de la maison, assez retirée par rapport à la route, ne bougea pas.

Le convoi passé, M. Coumes partit vite prévenir René Cazabet, dont la maison était un peu à l’écart. Ce dernier, prisonnier de guerre et évadé, craignait d’être recherché et repris, mais il était parti se réfugier vers Savis, chez les Ballongue, dont les enfants s’apprêtaient à partir à l’école.

Autour du Pré commun de Cassagne, l’agitation était à son comble. Jean Bourgade, par précaution ne dormait pas chez lui mais chez sa tante. Sa mère vint donc le réveiller depuis l’école où elle logeait, afin qu’il aille se cacher. Ce fut la même chose pour Jean-Marie Caujolle, qu’Odette Sarradet, qui avait vu les camions, vint réveiller chez lui. La famille Rousse qui habitait en face du Monument aux Morts de 14-18, eut quelques frayeurs : des gendarmes de la brigade de Salies avaient déserté leur poste et dormaient chez eux. Pierre Rousse se souvient des fusils et des képis sur la table qui auraient pu attirer l’attention des allemands, d’autant plus que le convoi s’était arrêté dans le quartier, alerté peut-être par des bruits suspects.

Après quelques instants d’hésitation, la colonne était repartie. Au même moment, sur la place de la mairie, Mme Canal, femme du boulanger Alexandre, s’apprêtait à partir pour Saint-Gaudens par le train de Boussens. Elle travaillait à la Poste et son mari l’accompagnait à la gare tous les matins. La mère d’Alexandre, Rose Canal, était dans la cour de la ferme contiguë à la boulangerie. Elle attendait son fils pour le petit déjeuner. Celui-ci surveillait le four où le pain cuisait.

A la vue des allemands, Alexandre alla vite prévenir Melle Bourdette, sa voisine, institutrice de l’école libre des filles en lui demandant de se cacher. Elle vit Marius Lapeyre qui tirait le fumier et le prévint à son tour. Puis, regardant vers la place, il vit Jean Galy poser une sorte de bombe et essayer de l’allumer. Ce dernier ayant vu lui aussi passer les allemands, avait pour mission de faire exploser la bombe afin de prévenir le maquis de Betchat, mais la bombe n’explosa pas. L’artificier, sérieusement réprimandé par Joseph Canal, frère d’Alexandre, avait peut-être manqué la mise à feu, à moins que la pluie ...

Longtemps les populations de Cassagne eurent peur rétroactivement en pensant à ce qui s’était passé un peu plus tard à Marsoulas. Le pain sorti du four, Alexandre était parti à son tour se cacher dans les douves du Castéras, en passant derrière le café Montané. Son épouse était restée au magasin car déjà des habitants des hameaux allaient venir, sans compter les deux maquisards de Bélesta qui, chaque matin, récupéraient la précieuse denrée pour le campement. Le mot de passe était «coucou», que les jeunes gens criaient depuis le chemin du Barry en direction de la boulangerie et sa porte dérobée.

Mme Ribet, institutrice, son mari Firmin et leur fille Suzette étaient à l’école dans le logement de fonction. Le père de Firmin Ribet tenait l’épicerie familiale en face de l’école. A travers les volets entrebâillés, Suzette vit elle aussi passer les camions allemands. Elle assista à la scène au cours de laquelle son père et M. Bourgade, instituteur aussi, retirèrent la bombe que Galy avait essayé d’allumer quelque temps auparavant. Sa mère s’était échappée vers la boulangerie. Ce jour-là, il y avait classe et lorsque Mme Canal lui demanda ce qu’elle comptait faire, elle répondit : « Je vais me mettre en tenue et attendre les enfants, mais en aucune façon je ne quitterai l’école»

Dans le reste du village, chacun vaquait à ses occupations. Beaucoup d’ouvriers d’usine étaient partis sur Mazères, Boussens ou Salies de très bonne heure. Au presbytère, l’abbé Saves, curé du village, avait reçu le vendredi soir le renfort de l’abbé Buffière, professeur à l’Institut catholique de Toulouse,. Ce dernier était venu pour la première fois à Cassagne pour Pâques, afin d’aider l’abbé Saves, âgé et fatigué, à assurer les confessions. Depuis, il revenait souvent, dès qu’il en avait la possibilité.

L’inquiétude règne

Le village de Cassagne avait enfin quelque autre raison d’être inquiet de l’arrivée des nazis. Le presbytère cachait apparemment quelques enfants juifs soustraits à la Gestapo et soignés par l’abbé Saves. Léon, jeune garçon juif, était accueilli par la famille Lapeyre dont le fils Jean était du même âge. Sa soeur Rosette vivait chez les Dupuy au Pré Commun.

La municipalité de Cassagne était conduite par André Lacroix, industriel à Mazères-du-Salat, qui demeurait à Bouque de Lens.

Ce matin du 10 juin 1944, Jeannette Blanc se souvient que le drapeau tricolore flottait sur la vieille mairie au passage des allemands.

Ainsi Cassagne avait vu les camions de SS emprunter sa rue principale pour se rendre à Betchat, sans heurts, sans voir couler le sang, mais aussi sans se douter de ce qui allait se passer à Marsoulas quelques instants plus tard.

Tout ceci se passait le dix juin au matin, entre 7 heures et 7 h 30.

A Marsoulas qui s’éveillait, Marie Barbe, soeur de Jean Blanc, avait passé la nuit avec ses deux petits jumeaux, Claude et Michel, dans la maison Durran. Elle était partie vers Cassagne et Mazères afin de prendre le car puis le train qui devait l’amener à Toulouse. Les enfants avaient été confiés à leur cousine germaine, Paulette Cazenave, qui logeait dans la maison familiale des Blanc, à deux pas de chez eux. Seul, le presbytère séparait les deux bâtisses. Paulette devait venir voir les deux bambins à leur réveil et s’occuper de leur faire prendre le petit déjeuner avant d’aller à l’école. Marie Barbe avait donc enfourché sa bicyclette et pris le chemin des Castets qui rejoint Cassagne par les crêtes, afin de rejoindre son mari, Pierre Barbe, douanier à Toulouse, où se trouvait la maison familiale du couple et des enfants. Le troisième garçon, Hugues Vincent était alors âgé de 15 ans. Il était pensionnaire à Pamiers où il poursuivait ses études. Le dimanche devait être un jour de fête pour le couple puisqu’ils étaient invités à Toulouse, à la communion de la nièce de Pierre Barbe. Les petits jumeaux étaient en sécurité dans la maison dont M. Durran leur avait prêtée le rez-de-chaussée, et ce même dimanche, ils devaient porter un vêtement brodé-main et neuf, pour la procession de la Fête-Dieu.

Des victimes à Mazères

Marie Barbe traverse donc Cassagne et rejoint Mazères. La route est une longue pente et le parcours est facilement avalé. Arrivée au Latéral, les premiers coups de feu se font entendre à Mazères. Ce n’est pas la même colonne que celle de Marsoulas qui est passée par Roquefort. Le village aura lui aussi à ce moment-là son lot de souffrances et de malheurs. Les SS encerclent les quartiers et installent une mitrailleuse sur le pont du Salat. La sortie du bourg est fermée par une chicane faite de camions. Devant le café-épicerie Ané, plusieurs personnes, dont Mme Farine et le jeune René Ferré, 8 ans, attendent la distribution d’huile, qui s’avérera plus tard non comestible. Déjà Mme Marinette Ducros, dont les parents gardaient le passage à niveau de Boussens, avait vu passer la colonne d’allemands se dirigeant vers Marsoulas.

Les SS, avec le canon de leur fusil, avaient soulevé puis fait retomber la casquette que son père avait sur la tête. Ce dernier dut laisser la barrière ouverte et par chance il n’y eut pas d’accident, le train venant de Toulouse étant en retard ce matin-là.

La colonne était arrivée dans le centre de Mazères par la Caretere. Cette fois les camions étaient encadrés de motocyclettes. M. Debeaux, resté chez lui, avait été appelé au téléphone par son père depuis l’usine en lui précisant de se cacher. Il avait eu juste le temps de ranger un poste émetteur-récepteur que son père utilisait clandestinement, lorsqu’un allemand avait pénétré dans la maison , effrayant sa mère. Il y eut des perquisitions dans d’autres maisons, les nazis cherchant partout des terroristes, un coup de feu ayant été tiré contre eux, disaient-ils, car certains s’exprimaient en français.

M. Ferré se souvient avoir aperçu M. Barthe, chef de musique, devant les bureaux de l’usine, ainsi que M. Pradier, instituteur, les mains en l’air, alors que les SS l’interrogeaient dans la cour de l’école. Mais le pire ne s’était pas encore produit. Route de Toulouse, Mme Espot est blessée gravement à un genou. Sur le plateau Raoul Barthe, ouvrier à l’usine mais aussi membre du groupe de résistants CFP-ORA, est réveillé soudainement par son frère Joseph. Il s’habille rapidement et s’enfuit dans les champs où la mort le fauche, mitraillé par les guetteurs allemands. Sur les bords du Salat, Louis-André Amouroux est aussi abattu par les SS alors qu’il s’enfuyait. Sergent du groupe FFI, il avait 32 ans et laissait une veuve, Francine, et deux orphelins. Raoul Barthe, 30 ans, avait épousé Esther qui attendait un enfant. Vite prévenu, M. Robert Lacroix, maire de la commune et son épouse vinrent réconforter les populations, bravant le danger en essayant de parlementer avec l’ennemi.

Jean Barthier avait reçu la visite, dans sa chambre, d’un soldat, revolver au poing. Il est à penser que les tirs cessèrent après l’assassinat de Raoul Barthe.

Les massacres à Mazères ne s’arrêtèrent pas là. D’autres exactions se produisirent dans la journée ainsi qu’à Roquefort, Boussens, Martres et Salies pour ne parler que des localités les plus proches.

Marie Barbe n’entendant plus le bruit des armes, remonte vers Cassagne.

A Marsoulas, Léonie Rives, portant le courrier, est passée devant la chapelle N.-D. de Bon Secours à bicyclette. Le bruit des camions lui parvient mais elle ne les voit pas encore. Soudain le premier véhicule apparaît à la sortie du virage de la «Goutte». Elle s’écarte afin de ne pas être renversée par les véhicules. Le convoi passé, Léonie gagne Cassagne et s’arrête chez Jean Canal et Raymonde, avec qui elle est parente. Elle y restera un long moment et ne poursuivra pas sa route vers Mazères, arrêtée là par quelques soupçons prémonitoires.

Arrivée des troupes à Marsoulas

Le convoi arrive donc à Marsoulas et s’arrête à la première ferme du village occupée par la famille Dedieu. Il y a là Emmanuel, 45 ans, cultivateur, conseiller municipal. Son épouse Jeanne, née Dencausse, 38 ans, et leurs deux filles, Georgette, 17 ans, et Thérèse, 14 ans. La famille est pieuse, l’abbé Dencausse, frère de Jeanne est curé d’Arbas. C’est aussi un grand prédicateur de missions, fort écouté. Thérèse est en pension à Saint-Gaudens, à l’école privée Sainte Thérèse. Sa mère est allée la chercher, la supérieure ne la croyant pas en sécurité en ville.

Jean-Edmond était aussi à la ferme. Les Dedieu l’avaient élevé de 7 à 14 ans après qu’il ait perdu sa mère adoptive, lui qui était pupille de l’Assistance publique. Il avait 25 ans et s’apprêtait à aider les siens pour les travaux des champs. Il était venu passer le week-end pour cela. Du premier véhicule arrêté descendent sans doute un officier et certainement un élément de la Gestapo parlant le français et connaissant la région, plus quelques soldats. Emmanuel est questionné. On lui demande si des terroristes sont dans la région. Il répond négativement. Pas convaincus de la réponse faite, ordre fut donné aux soldats de fouiller la maison et de vérifier l’identité de Jean-Edmond qui paraissait en âge de pouvoir faire un «bon terroriste». L’opération terminée sans résultat probant, le convoi repartit vers Betchat. Cent cinquante à deux cent mètres séparent la ferme Dedieu du mur du cimetière et de l’église. Sur le toit de l’église et à côté du clocher, Veinberg et «Espérance» guettent. Léonie Rives est à Cassagne, Marie Barbe attend de pouvoir quitter Mazères ; certains habitants de Cassagne sont partis dans les bois. A Marsoulas, à part ceux qui ont quitté le village la veille, ou ceux qui sont partis à l’usine ou au travail, peu semblent avoir bougé.

Premiers coups de feu à Marsoulas

Le premier camion avance. Les deux guetteurs se préparent au combat. Ont-il pris conscience du nombre de combattants ? Chacun lance alors la grenade en sa possession depuis le toit de l’église. Puis ils tirent sur la cible avec leurs armes. Weinberg est, paraît-il, myope, mais il a peut-être de l’expérience et de l’entraînement. Ils ont la chance de pouvoir compter les victimes adverses qui sont au nombre de sept. Mais bientôt la réponse arrive, faite de balles de mitrailleuses et de FM. Weinberg est partagé par une rafale et s’affaisse. Espérance prend peur, mais protégé par le mur du clocher, il parvient à atteindre l’échelle et à descendre vers la tribune. Dans la précipitation, il casse un barreau et tombe au sol, heureusement protégé par le casque. Ses arcades sourcilières sont toutefois éclatées. Il court vers la sacristie. A peine entré, il se retourne et aperçoit un SS dans l’entrebâillement de la porte. Alors il tire avec son Stein. Il ne voit pas l’allemand s’écrouler, mais par contre en se retournant vers la fenêtre barricadée qui donne sur le cimetière, il voit une grenade offensive briser le carreau et tomber à côté de lui. Traumatisé par l’éclatement de la grenade mais sauvé peut-être par la poussière soulevée, il quitte la sacristie et se cache derrière l’autel. Dehors, la fusillade se poursuit. Après de longues minutes, il entend les officiers SS hurler des ordres, puis les camions repartir. Mais que s’était-il passé pendant ce temps interminable ?

Certainement surpris par l’explosion des grenades, Weinberg étant neutralisé sur le toit de l’église, les SS ne tirent plus. Ils sautent des camions et le quartier de l’église est aussitôt investi. Les escouades, derrière leur chef, se dirigent vers les Castets en contournant l’église, vers le chemin de la Fontaine et se glissent derrière la ferme Rogale pour remonter entre le bois et les maisons vers le centre du village. Les fusils-mitrailleurs crépitent à tout moment : on retrouvera de nombreux impacts sur les façades, les portes et portails. Un groupe se dirige vers la ferme Dedieu en revenant sur ses pas et la tuerie commence.

Dans la maison, le bruit de la fusillade est arrivé. Georgette signale à son père que les allemands reviennent. Emmanuel sort aussitôt et reçoit une balle dans une jambe. Il rentre et s’affale dans la maison. Sa femme arrive pour le relever. Jean-Edmond essaye de fuir par derrière, mais les SS ont encerclé la maison. Il est tué sur le coup. Une grenade est lancée dans la pièce où Jeanne se trouve. Elle n’a pas le temps de s’écarter ni de se sauver. L’engin explose, la blessant très sérieusement. Thérèse a été touchée et elle va s’abattre dans la cour. Georgette n’a pas bougé et elle a tourné la tête, effrayée, tétanisée. Une balle explosive est entrée dans son dos, lui déchiquetaient le torse. En partant, les assassins tirent encore deux balles sur Emmanuel, étendu à même le sol et qui fait le mort. Mission accomplie. Pourtant Jean et Emmanuel sont encore vivants. Georgette râle encore.

Plus tard, caché dans la sacristie après l’attaque, le survivant des deux maquisards aura vu passer « une pauvre vieille habillée de noir avec un fichu sur la tête, levant les bras au ciel et criant ‘‘Mon Dieu, quel malheur’’». C’était sûrement la mère d’Emmanuel Dedieu qui venait voir ce qui s’était passé chez son fils.

Premières victimes

Chemin de la Fontaine, il y avait plusieurs maisons dont les deux premières se faisaient face. Celle de droite était la maison Blanc où vivaient Joséphine, son gendre Jean-Baptiste Cazenave, 49 ans, son épouse Julie, 44 ans, et leurs trois enfants : Gaston, 21 ans, Paulette, 19 ans et Paul, 9 ans.

Carbo, ouvrier de l’entreprise Blanc se préparait à faire du mortier pour crépir les porcheries en attendant que son patron arrive. Gaston était en permission, revenu des «Camps de Jeunesse» à Casteljaloux. Lorsque les premières grenades éclatèrent, il était à l’étable avec son père Jean pour soigner les bêtes. Aussitôt ils rejoignent la maison, fermant la porte à clef et demandant à tout le monde de se cacher pendant que les allemands étaient là et tiraient.

Le témoignage de Paul Cazenave

Paul Cazenave, seul rescapé et témoin des horreurs perpétrées dans cette maison, en fera la description suivante, quelque quarante quatre ans plus tard, non sans avoir déclaré préalablement «Si je peux aujourd’hui écrire l’authenticité des faits tels qu’ils se sont passés, c’est, je vous l’affirme aujourd’hui, que peu nombreux auront été les jours où je n’aurai fait appel à ma mémoire pour penser à cette horrible journée».

Tout ceci s’étant passé en bien peu de temps, ma famille et moi sommes toujours dans la cuisine à écouter sans bouger les rafales qui se rapprochent quand, tout à coup, les crosses des fusils essaient d’enfoncer la porte. Nous étions, pour la dernière fois, serrés les uns conter les autres, sentant notre fin bien proche. A ce moment, mon frère Gaston, en tenue des Chantiers de Jeunesse, décide d’échapper aux allemands, en s’enfuyant côté jardin.

Papa ne savait que faire à ce moment-là, et peut-être ceci lui rappelait-il les moments terribles passés dans le Fort de Douaumont en 1918, repris aux allemands au prix de trop nombreuses vies. Il y fut, d‘ailleurs, «gazé» comme plusieurs de ses camarades, ce qui lui valut la Croix de Guerre à l’âge de 23 ans.

Mais les coups redoublaient sur la porte fermée à clé. Papa s’avança donc pour ouvrir. N’ayant pas eu le temps de prononcer un mot, il est abattu sur le seuil. Il avait 49 ans !

Maman se portant à son secours, subit le même sort et tomba à côté de lui ! Elle avait 44 ans.

A ce moment précis, j’étais derrière ma soeur Paulette à l’intérieur du petit hall d’entrée, et ma grand mère, derrière moi, se tenait d’une main à la rampe de l’escalier.

A cet affreux spectacle de quelques secondes à peine, ma soeur Paulette, 19 ans, ne put s’empêcher d’aller vers sa mère, et par deux fois elle appela «Maman... Maman...». Elle fut aussitôt abattue de la même façon, avant d’être achevée d’un coup de crosse !

Au même moment ma grand mère s’écroula au pied de l’escalier. Les allemands la croient morte, mais elle ne sera que légèrement blessée. Elle avait 68 ans. Quant à moi, j’étais resté légèrement à l’intérieur du seuil de la porte. Je sentis brusquement un soldat me prendre le bras pour me tirer vers l’extérieur en criant «Raus ! Raus !». Mais d’un geste très sec, je me fais lâcher le bras et monte deux à deux les marches de l’escalier en direction des chambres. Mais la cachette me paraissant peu sûre, c’est au galetas et très exactement dans l’un des trois pigeonniers en service, sous la toiture donc, côté façade de la maison, surplombant la cour de celle-ci. Blotti dans un coin, je ne comprenais pas ce qui m’arrivait et je n’avais pas encore réalisé ce que j’avais vu en bas.

Les tirs à la mitraillette redoublant d’intensité me poussaient, petit à petit, à regarder par le trou du pigeonnier (30 cm x 30 cm) ce qui se passait dans la cour. Celle-ci, environ 30 mètres sur 12 de large, parallèle au chemin dit de la Fontaine, séparait notre maison de celle, en face, des Audoubert. Pointant donc prudemment ma tête par le trou, je vis dans cette cour une marée de casques allemands mitrailler un instant la façade de la maison Audoubert. Retirant aussitôt ma tête, à plat ventre dans ce pigeonnier, je ne bougeais plus, car là, surplombant le corps de mes parents, je commençais à réaliser que ceux-ci étaient bien morts et j’éclatais en sanglots !

Sans aucun doute, le soldat allemand qui avait pris mon bras pour me tirer à l’extérieur préféra, pour ne laisser aucune vie dans cette maison, poser dans la cuisine une bombe. Mais celle-ci, certainement mal amorcée, n’explosa pas.

La façade de la maison Audoubert mitraillée (on peut encore à ce jour voir les volets en fer de la cuisine criblés de trous par les balles allemandes) sert d’écran à mes yeux. Les quatre membres de cette famille ont certainement été les premiers témoins de l’assassinat de mes parents. De ce fait, ils avaient tenté de s’échapper par l’arrière de la maison, à travers prés, en direction de la Fontaine sur la route de Salies; Mais les SS étaient partout et personne ne pouvait ici leur échapper. C’est ainsi que mon frère Gaston, 21 ans, venait d’être repris dans le jardin pour être conduit à quelques mètres à peine des corps de ses parents, comme pour mieux le faire souffrir, avant de l’écrouler, lui aussi, d’une rafale de mitraillette !

Toujours à plat ventre dans ma cachette, j’avais, en contrebas, le spectacle le plus horrible que puissent voir les yeux d’un enfant de 10 ans. Je ne connaissais encore pas le sort de mes petits cousins Claude et Michel.

Quelques instants après, les yeux baignant dans les larmes, je vis passer devant le corps de mes parents, les quatre membres de la famille Audoubert, que les allemands avaient ratrappés quelques centaines de mètres après leur fugue. Le père, Alfred, 55 ans, la mère Pauline, 49 ans, la fille aînée Jeannette, 22 ans, qui devait se marier deux mois après avec Jean Galy de Cassagne, et leur cadette Suzanne, 13 ans. Tous quatre donc, se donnant la main, remontaient le chemin, mitraillettes dans le dos, pour être conduits à 200 mètres de là sur le chemin du village, et adossés au portail de la cour Anglade pour y être froidement fusillés.

Cette scène a été vue de la fenêtre de leur cuisine, par Elise Hener et sa mère, Maria Montariol. Cela se passait à vingt cinq mètres de leur maison.

Peut-on aujourd’hui mesurer la souffrance de cette famille, témoin d’abord, échappée et ratrappée ensuite, pour être conduite à travers les morts encore chauds, et y subir une fin atroce !

Je pense que seuls des êtres que l’on dit humains sont capables, lorsqu’on les place dans un certain contexte, d’accomplir de tels actes. Nous n’y réfléchirons jamais assez. Ce sont les événements qui font les hommes, mais les hommes créent les événements.

Un ouvrier maçon, Jacques Carbo, 40 ans, faisant des travaux chez mes parents, fut également tué sur la route du village, face à la maison Rogale. Son visage contre le sol et la veste remontée sur sa tête nous ont permis de supposer qu’il essayait de s’enfuir.

Ainsi, Paul Cazenave raconte-t-il la mort de ses parents, de son frère et de sa soeur, de ses voisins, tout simplement, comme il l’avait vécue mais d’une encre de sang.

Le témoignage d’Odile Rogale

Sur la route principale qui traverse le village, à gauche en montant après être passé devant l’église, se trouve la maison Rogale. Anna et sa fille Odile (qu’on appelle familièrement Lili) sont dans la maison. Celle-ci racontera ces durs moments au cours d’une interview faite par des élèves de 1re littéraire du lycée de Saint-Gaudens. C’était en 2001.

"ll était huit heures du matin. Ma mère et moi dormions encore, quand des coups de freins nous ont réveillées, ça faisait un bruit de tonnerre ! Ma mère m’a rejoint, elle m’a dit quelle croyait que c’était les Allemands. Et elle avait raison... A peine sorties du lit, on a entendu des voix criant “ Raus ! ! Raus ! ! ”

Avant d’avoir eu le temps de réagir, les Allemands avaient mis sur pied une mitraillette et tiraient sur la maison, et les balles faisaient des trous dans les cloisons. J’ai voulu m’échapper par derrière mais il y avait déjà des Allemands. Heureusement, ils ne m’ont pas vue ; je me suis donc dépêchée de revenir dans la maison. J’ai fait une seconde tentative par devant. Mais je tremblais tellement que je ne suis pas arrivée à ouvrir le portail.

Tout à coup, j’ai vu un Allemand qui me regardait et me disait “ Raus ”. Et moi, comme je ne comprenais pas, je me suis approchée et j’ai essayé de lui expliquer qu’il pouvait entrer pour voir qu’il n’y avait pas de maquisards ici. Mais j’ai compris ce qu’il voulait quand il a épaulé son fusil et qu’il l’a pointé vers moi. Alors, je suis vite rentrée et j’ai tiré le verrou. J’ai appelé ma mère et on a été se cacher sous la cage d’escalier.

Heureusement qu’on se trouvait là, parce que, tout de suite après, ils ont envoyé une grenade qui est arrivée dans le couloir et qui a partagé la porte en trois. Après la grenade, ils ont lancé une bombe derrière nous, qui a détruit toute la maison sauf la cage d’escalier. On est resté pétrifiées alors que des bottes d’Allemands et des coups de feu résonnaient tout autour de nous.

On a attendu que tout se calme et on est sorti de notre cachette. Comme on était en chemises de nuit, on a été chercher des manteaux et on s’est échappé par derrière. Un homme nous a fait signe de le suivre, mais nous avions peur que ce soit un Allemand; en fait, c’était un maquisard qui avait survécu à la fusillade de l’église et nous nous sommes enfuies avec lui.

Quand, plus tard, nous avons pu revenir chez nous, nous avons vu qu’ils avaient pris nos saucissons ; il ne restait plus que les ficelles pendues à la barre. On voulait monter mais les escaliers étaient détruits. Alors on a pris une échelle : les couvertures du lit étaient entremêlées et s’étaient coincées sous le matelas à cause du souffle violent de l’explosion. Tous nos bijoux avaient disparu et tout était détruit.

Je me souviens avoir pleuré pour la maison détruite et pour avoir perdu toutes les choses que mon fiancé et moi avions achetées pour notre futur ménage. Mais ma mère me consolait en me répétant qu’il fallait s’estimer heureux d’avoir survécu à cette atrocité.

Mais le plus terrible pour moi a été la disparition de ma meilleure amie, Jeannette Audoubert, qui habitait en face de chez nous et qui devait, elle aussi, se marier deux mois plus tard. En effet, je l’ai vu passer avec ses parents et sa soeur , mitraillette dans le dos, remontant la rue principale du village pour être fusillés quelques mètres plus loin. Sur le coup, je n’ai pas réalisé que c’était elle, mais si je l’avais reconnue, je peux vous jurer que je l’aurais suivie et j’aurais préféré mourir avec elle.

Autour de l’église

Toutes ces exactions et atrocités ont été commises en un temps très court et sur un territoire représenté, en fait, par le quartier de l’église. C’est en prenant le chemin des Castets, chemin des crêtes, vers Cassagne, que les SS, contournant l’édifice, pénétrèrent dans la première maison, l’ancien presbytère. Henri Sire, le chef de famille, est parti travailler à l’usine à sel à Salies-du-Salat. Marie Sire, la mère, est encore dans la maison avec ses deux enfants, Maguy, 20 ans, et Guy, 12 ans. Au bruit de la mitraille, toute la famille se réveille, s’habille précipitamment et cherche à fuir. Il y a certes le jardin, derrière, mais encore faut-il bloquer la porte principale. Maguy s’en approche, mais les SS, qui vident leurs chargeurs un peu partout, atteignent cette porte derrière laquelle est blottie la jeune fille. «La balle est arrivée, elle m’a traversé l’épaule et elle est sortie derrière», racontera Maguy. Blessée, le sang coulant abondamment, elle rejoint sa mère et son frère et tous trois s’échappent par le jardin et se dirigent vers La Fontaine, mais loin du petit chemin qui dessert les maisons et qui est déjà investi par les allemands. C’est là qu’elles rencontrent Irénée Castex, le fiancé de Lily Rogale. Il amènera Maguy, le poumon perforé, ensanglantée, et sa famille, par les prés jusqu’à la maison la plus proche de Marsoulas, mais déjà sur le terrain de Cassagne, loin des balles des tueurs.

Irénée avait été, lui aussi, surpris au petit matin par la fusillade. Il avait dormi chez son oncle, à la Fontaine, où il se cachait pour échapper aux rafles éventuelles de la Gestapo ou de la Milice.

La maison suivante appartient à la famille Durran, industriels à Toulouse et qui viennent de temps en temps à Marsoulas, utilisant cette dernière comme résidence secondaire. Après les bombardements de Toulouse, ils ont accepté de prêter la maison à M. et Mme Barbe pour y loger les deux petits jumeaux, Claude et Michel, loin des soucis de la ville. C’est commode, toute la famille de Mme Barbe habite à cinquante mètres, même moins, en passant par les jardins. Paulette, leur cousine germaine, s’en occupera.

Elle va arriver dès que les enfants se réveilleront. C’est convenu ainsi avec leur mère qui vient de partir vers Mazères, afin de re joindre Pierre, le père, qui travaille à Toulouse.

Les enfants dorment au rez-de-chaussée, chacun dans son petit lit. Alors, l’impossible arrive. Un coup de revolver dans la tempe de chaque bambin endormi : voilà la signature de la bête immonde, voilà concentrée, révélée, l’idéologie nazie dans toute son horreur. Mais pouvait-on imaginer que l’homme fût capable de tels agissements ? Paul Cazenave, qui était venu voir ses petits cousins écrira, racontant la scène « Ils étaient, eux, dans leurs rêves les plus purs».

Mais l’ouvrage n’était pas achevé. Il faut terminer le nettoyage de ce quartier de l’église, d’où était partie l’attaque du convoi. Les justiciers descendent le chemin de la Fontaine, pour boucler le route de Salies par où pourraient s’échapper des fuyards du haut du village, comme l’avait essayé les Audoubert. Dans les deux maisons, tout le monde a eu le temps de se cacher. Joseph Dencausse, chez qui se trouvait Irénée Castex, dans l’une, la famille Pierre Galès, qui loge Germaine Galli, réfugiée alsacienne, dans l’autre. Tous échappent au carnage.

Reprenant la rue principale, la horde sauvage, après avoir fait sauter la maison Rogale continue son ratissage. Deux foyers se succèdent. Dans le premier, Adélaïde Dedieu est seule. C’est elle qui, la première, après le massacre, descendit voir son fils à la ferme Dedieu.

Dans la maison suivante, Madame Ducros est seule aussi. Simon, le père, et Laurent leur fils, sont partis à l’usine. André est prisonnier en Allemagne. Le grand père et sa petite fille Simone sont cachés dans la grange attenante.

Ces deux maisons ont été visitées par une escouade dans laquelle se trouvait certainement un alsacien parlant français. Ayant épargné Adélaïde Dedieu, ils en font autant chez Madame Ducros, qui fut cependant légèrement blessée.

Ce même groupe, sans doute, pénètre rapidement dans la cour de l’immeuble occupé par la famille Montariol-Hener. Il y a là Marie Montariol, la doyenne, de 73 ans, sa sœur Caroline Barthet, Elise Hener, sa fille, ainsi que Simone, 23 ans, fille d’Elise. Elles ont peur. Elise aurait aperçu, depuis la fenêtre de sa chambre, le premier camion au moment de l’attaque de celui-ci à la grenade.

Simone se souvient «d’une grande flamme». Etait-ce un véhicule qui brûlait ? Quelques instants auparavant Elise avait assisté à l’exécution de la famille Audoubert devant le portail de chez Anglade et elle en avait informé les siens. Les quatre femmes s’attendent donc au pire lorsque les premiers coups de crosse et de bottes tentent d’enfoncer la porte. Les SS pénètrent dans la maison, l’arme au poing et parcourent les différentes pièces à la recherche de quelques terroristes, surpris sans doute de ne trouver que des femmes. Après s’être assurés qu’il n’y avait pas d’autre issue, ils sortent dans la cour et intiment l’ordre aux occupantes de ne pas bouger. Ceci, en un français très compréhensible, prouvant, là encore, la présence d’un alsacien, celui même qui avait perquisitionné chez Ducros et chez Adélaïde Dedieu.

Aussitôt après, sur la droite, il y a le petit chemin qui mène chez Walbott. Paul est au maquis et restent seules la mère, Marie, et ses deux filles, Berthe et Joséphine. Celles-ci ne seront pas inquiétées.

Vers la Mairie

En remontant vers la mairie, les maisons se succèdent, mais seulement sur le côté gauche de la route. Les assassins continuent leur progression, enjambant Carbo, mort, au milieu de la route, contemplant le spectacle des quatre Audoubert abattus comme du bétail, gisant sur le côté ou sur le dos. Entre le bois et les habitations, d’autres SS progressent en tirant dans toutes les directions. La première maison rencontrée est occupée par la famille Anglade, Paul, le père, et Anaïs la mère. Leur fils, Balthazar, est prisonnier en Allemagne. Dans la seconde vit le couple Bonneil, le père, la mère et leur fille Georgette qui, à l’arrivée des sanguinaires avaient quitté les lieux, se réfugiant dans les bois, avant que le quartier ne soit investi.

Dans la maison suivante, Jean Castex, dit le forgeron, prépare le journée avec sa mère et un adolescent de l’assistance publique. Aux premiers bruits, Jean est sorti, croyant qu’il ne passait quelque chose chez ses voisins, les Bonneil. Voyant les allemands au loin, il rentre vite et dit à sa mère : «Partons». Pour toute réaction, le jeune homme va se coucher sous un lit et Madame Castex part vers la souillarde où elle disparaît derrière un grand rideau. Jean Castex pense alors pouvoir s’échapper vers le bas du Barrail, comme l’ont fait peu avant les Bonneil. Impossible : les SS sont là aussi et tiraillent dans tous les sens. La palissade de la maison suivante servant d’enclos a été enfoncée par les nazis. Tout le secteur est cerné. Jean se ravise donc, se cache un moment dans l’étable qu’il venait de traverser, puis monte se réfugier au grenier à foin où il se couche. La fusillade passée, il partira vers le Barrail où il retrouvera M. Bonneil et son épouse, partis avant le début de la tuerie.

Dans les mêmes moments, les assassins sont entrés dans la maison en vociférant. N’ayant rien remarqué, ils partent en lançant une grenade devant la porte.

Tout à côté, demeure la famille de Jean Castex, dit le maçon. Lui est déjà parti au travail. Son épouse, aux premiers bruits anormaux perçus et provenant de l’entrée du village, a pris ses deux jeunes enfants, Paul et Paulette, pour aller vite se cacher dans les bois avant que l’arrière de la maison ne soit prise. Pauline, la mère de Jean est restée. Voulant se protéger, elle décide de fermer les volets de la cuisine. Trop tard. Les SS ont perçu la manœuvre et une rafale de mitrailleuse à travers les volets encore entrebâillés abat la malheureuse. Ne perdant pas de temps, les tortionnaires se ruent sur la maison suivante. La famille Saffon, arrivée récemment de Toulouse pour se mettre en sécurité, commence à s’éveiller. Ils ne sont pas tous là. Le père est resté en ville pour travailler et Jean est parti la veille rejoindre le maquis de Betchat. Madeleine Saffon, seule adulte, est levée. Ses deux filles Suzanne, 19 ans, et Micheline, 12 ans, ne sont pas descendues de l’étage, pas plus que le garçon, Yves, âgé de 14 ans. Le petit Christian, 3 mois, un autre petit fils, est venu aussi à Marsoulas. Sa mère, Yvette, l’avait laissé partir avec les autres enfants. On frappe à la porte à coups de crosses. Madeleine accourt pour ouvrir. Elle n’ira pas plus loin, abattue sur place. Les tueurs pénètrent alors dans la maison et vont se livrer à des scènes de carnage, difficiles, même aujourd’hui, à évoquer. Suzanne et Micheline sont abattues entre le mur de la chambre et le berceau du petit Christian. Elles n’ont pas pu aller plus loin dans leur retraite. Le sang coule de la blessure mortelle de l’aînée ; il se répand sur le parquet, formant une tache sombre sur les larges lames de bois. Sous le lit où il s’est caché, il n’y a plus de vie : Yves a été achevé par les SS en proie à une folie meurtrière. Le berceau est vide. Christian n’a pas été tué dans son sommeil, arraché de ses draps : il a reçu une balle dans la tête, puis jeté sur le palier. Il sera achevé à coup de crosse. Roland Dorgelès écrira même : «Son petit crâne fracassé a laissé au plafond une tache brunâtre, comme un nimbe sanglant sur le chemin du ciel»

Les assassins poursuivent leur chasse à l’homme. Au café du village, chez M. Soum, la porte et les volets sont clos. Ils tapent virilement sur les volets à coups de crosse. A l’intérieur, Pierre Soum, est avec son épouse Anna, sa belle-mère Cécile et la petite Renée.

Cachés un moment dans le chai, Pierre et Renée monteront plus tard rejoindre Anna et Cécile dans la chambre où elles ont trouvé refuge à l’étage. Dans l’axe de la place, il y a la maison de Jean-François Blanc, dit «Mérotte», occupée par une partie de la famille Galli. Pierre, son épouse et ses deux enfants occupent la maison à gauche, avant de prendre le chemin du Charrot. C’est eux qui voient arriver en premier les meurtriers, mais Pierre parle allemand et il a le temps de parlementer avec ces hommes en armes décidés à poursuivre leur raid assassin. Rassurés peut-être, ils vont à la maison suivante, chez «Mérotte», où ce dernier se trouve en compagnie de l’autre partie de la famille Galli. Il y a là le père, la mère et leurs deux enfants. Les apaisements de Pierre ont porté et, sans aucun doute, freiné l’instinct tueur des bourreaux. Ils fouillent tout de même la maison en recommandant aux occupants de ne pas quitter les lieux. A trente mètres environ, il y a la maison où logent les Fulbert Le grand père, Jacques Castex, 59 ans, tambour afficheur et porte-drapeau de la commune, vit avec eux. Sa fille Marguerite, est une jeune maman. Elle a 26 ans et a épousé Adrien Fulbert, âgé de 25 ans. Deux beaux enfants sont nés de ce mariage, Jacques, qui a cinq ans, et Mauricette, 2 ans.

Que s’est-il passé ?

Jacques Castex s’avance dans la cour : il est abattu aussitôt. Son gendre, Adrien Fulbert vient à son tour et à peine a-t-il franchi le pas de la porte qu’il est fauché par plusieurs rafales provenant d’armes automatiques.

Ce que l’on découvrit à l’intérieur dépasse l’entendement. Marguerite gisait sur le dos, la gorge perforée, dans une mare de sang. Sur le bras gauche de sa mère, et couché sur le côté, Jacques avait la tête tournée vers le biberon encore garni et qu’il venait certainement de lâcher. Derrière la nuque de Marguerite, les petits pieds de Mauricette semblant caresser la chevelure de sa mère. Les yeux vers le plafond, une main sur la ceinture. De son nez et de sa bouche, le sang coule.

Il faut maintenant aller plus loin.

Vers le haut du village

La troupe déboule à l’angle de la mairie et se dirige vers la maison Biros. L’école est déserte, l’appartement aussi. Melle Alcouffe, l’institutrice, n’apparaît pas. Anna Biros est dans la maison de sa fille Marie, avec son gendre Manuel Hernando, leur fille Annie et Denise Ardichen, 11 ans, qui venait d’arriver de Perpignan.

Personne ne s’étant montré, les allemands poursuivent leur route. Ils visitent la maison Charouleau et ne trouvent rien. Les voilà maintenant dans la grande maison faisant face au chemin de la Ruile. A l’étage, une famille nombreuse se réveille. Gaston Dupuy, le père, est parti au lever du jour vers Haraypey où son frère Robert procure un peu de viande sans tickets aux populations. La mère, Reine, est réveillée par des coups portés aux fermetures du rez-de-chaussée, mais ce n’est pas pour elle. Les enfants sont invités à ne pas bouger. Effectivement, au-dessous, il y a un autre logement qu’occupe Julie Allemant, la sœur de Jean Castex. Son mari travaille à Boussens. Les SS pénètrent dans la maison, traînent Julie sur la route et lui assènent plusieurs coups de crosse, la laissant inanimée mais sauve. Satisfaits, les brutes traversent la route, oubliant le logement à l’étage. Chemin de la Ruille, il y a plusieurs maisons, toutes sur le côté gauche. Il n’est pas long. Deux cent mètres environ. Le premier groupe d’habitations abrite plusieurs familles. Dans la première vivent Paulette Duvernoy, née Barthet, et son mari. Au cours de la perquisition, le chef du groupe aperçoit un poste de radio dans la pièce. C’est un «Telefunken», marque allemande, symbole de qualité. Il le regarde, marque son admiration, et tout le monde sort sans autre explication.

La maison suivante est oubliée. La famille Tamborello (le père, la mère et deux enfants) est sauvée.

Plus loin se cache la famille Barthet, Frédéric, célibataire qui vit avec son père, et sa mère, Angélique. Comme ils n’ont pas bougé, les allemands ne font pas de recherche dans la maison. Ils prennent alors le chemin de la Ruille en tiraillant vers les constructions. Bernard Darbon et sa mère sont là. Une balle s’est logée dans le linteau de la fenêtre. N’apercevant pas âme qui vive, le groupe pénètre dans la cour de la maison Sahuc. Alfred est déjà parti dans les bois, vers la route de Salies. Sa mère et son père sont âgés. Les allemands les toisent et quittent la maison après avoir visité plusieurs pièces. D’autres SS remontent maintenant vers le haut du village. Sur la droite, une maison paraît fermée. Il y a pourtant Mme Pugibet et une parente, Marie-Louise. Le père est à l’usine. Ils n’insistent pas et passent à la suivante.

Sur la gauche, la famille Barthet est prête pour attaquer la journée. Guillaume, le père, s’était levé tôt, mais il pleuvait et il s’était recouché. Il avait prévu de faucher l’herbe du pré derrière la maison et pour ce faire, devait aller récupérer la faucheuse et les vaches de trait chez Dedieu à l’entrée du village. C’était partie remise en attendant le beau temps. Devant la porte, il avait eu le temps de voir que l’herbe avait été foulée. Il avait dit : «ce doit être le maquis» et il avait ouvert la grange pour qu’ils se mettent à l’abri au cas où ils reviendraient. Mais bientôt des bruits de grenades explosant parviennent à la maison. Il s’habille en hâte pensant que le maquis est passé à l’attaque.

Les détonations sont toutefois lointaines et Guillaume Barthet qui a connu 14-18 ne s’affole pas. Il continue à soigner les bêtes. Sa fille Hélène et Anna sa femme sont dans le chai à l’abri des balles. Mais bientôt les bruits s’amplifient, les balles fusent et un camion s’arrête devant la maison. Les SS entrent dans la cour, cognent à la porte d’entrée qui ne veut pas céder car Guillaume l’a bloquée à l’intérieur avec une barre à mine. L’assaillant jette alors une grenade vers la porte d’entrée. Entre temps, Guillaume a pris sa fille Hélène par le bras et, amenant avec elle sa femme, Anna, et une petite cousine de 12 ans venue de Toulouse, il leur fait traverser l’étable et leur dit de s’en aller vers les champs en leur indiquant la direction. Ayant attendu qu’Anne et les enfants soient arrivés au fond du champ et bien cachées, il revient vers les bourreaux les bras en l’air. Hélène raconte : «On a attendu. Mon père s’est montré et ça n’a pas été qu’une fusillade. On a entendu un râle. Alors, maman a voulu faire demi-tour pour revenir sur ses pas. Je leur ai dit : ‘Non, maman, sinon nous sommes tous perdus’. Nous avons fait cinq ou six mètres, c’était le fond du champ; il y avait de l’herbe haute. Nous nous sommes couchées et nous avons rampé pendant au moins trois cent mètres. Moi en tête et j’ai dit: «Faites comme moi, suivez» et ils se sont rendu compte que quelqu’un s’était échappé parce qu’ils nous ont tiré dessus».

La voie est libre, la maison est ouverte. Il ne reste qu’à se servir : nourriture, argenterie, vin, tout est chargé, même le cochon que l’on venait de saigner. On n’oubliera pas de croquer quelques cerises sur l’arbre bien garni au milieu de la cour.

La route s’infléchit un peu cachant les dernières maisons du village. La première regroupe deux logements. Dans l’un se trouvent Marie-Louise Ségur et ses deux filles Yvette et Mauricette. En l’absence de Jacques Ségur, le père, prisonnier en Allemagne, Marie-Louise a caché ses deux enfants au fond de la grange. Henri Barthet, le voisin, étant venu dans la maison pendant que la fusillade faisait rage dans le bas du village, tous quatre tentent une sortie vers les prés entourant la maison. Peine perdue, les balles tirées peut-être de très loin, arrivaient déjà dans le quartier. Chacun reprit sa place aux abris.

Dans l’autre partie de la maison vivent les Galès, mari et femme. Ils ne seront pas inquiétés.

La maison au-dessus est occupée par Victor Ferré, son épouse Lélia et leur fils Jean. Elle sera épargnée. Victor était aussi parti dans les bois. De l’autre côté de la rue, loge Henri Barthet. Aux premiers coups de feu entendus, il est venu chez Marie-Louise Ségur.

La ferme Landelle est occupée par le père, Louis, son épouse Céleste et leurs deux enfants, Robert et Marthe.

Les allemands pénètrent dans la maison, narguent le chef de famille puis passent dans la grange pour tuer le veau gras. Quelques victuailles sont chapardées. Il reste encore une dernière maison où demeurent Bertrand et Marie Ducros. Les SS les ignoreront.

Combien de temps aura duré cet affreux carnage ? Une heure, deux heures.

Quelques constatations s’imposent. L’attaque était totalement imprévue, la progression des ennemis dans le village fut très rapide, empêchant beaucoup d’habitants de fuir. Personne ne pouvait imaginer la sauvagerie, la barbarie avec lesquelles ces monstres casqués anéantiraient un village à jamais.

Mais la colonne aux ordres de Gross devait atteindre Betchat. Ce sera chose faite.

Jean-Marie Joube et Jean-Marie Rives seront assassinés sur la route menant aux premières maisons et Philippe Sajous gravement blessé.

Jean-Pierre Sirgant sera fusillé contre un mur du Pré Commun vers 10 heures. Il avait 22 ans.

Premiers constats du désastre

Les bruits de fusillades se sont tus, dans la vallée et sur les hauteurs. A Mazères, Marie Barbe qui n’avait pas pu prendre l’autobus se décide à remonter vers Marsoulas.

Toujours à bicyclette, elle traverse Cassagne et s’arrête devant la maison Saleich où elle rencontre sa belle sœur Jeannette Blanc qui revenait précisément du quartier du Haraypey, dans la plaine du Lens, d’où elle ramenait un peu de viande procurée par l’abattage clandestin. Jeannette était remontée au village en compagnie de Michel Dencausse, ancien combattant de la guerre 14-18 ; ce dernier ayant entendu le bruit des armes avait dit à sa compagne de route «Les Allemands ne sont pas loin. Quelque chose se passe».

Les deux femmes échangent quelques propos au milieu de la route, Marie Barbe disant à Jeannette Blanc «Rentre donc vite, allez vous cacher car je crois qu’à Mazères les Allemands ont déjà tué deux hommes.» Elle poursuit sa route par le chemin des Castets et s’arrête à la première maison sur la gauche après avoir atteint le plateau. C’est la ferme occupée par les Cadorre, qui se trouve sur le territoire de Cassagne à deux pas de la limite séparatrice des deux villages. Il règne dans les lieux une certaine agitation.

Irénée Castex vient de ramener Maguy Sire, blessée et perdant abondamment son sang. Les personnes présentes s’affairent autour d’elle lui prodigant les premiers soins et surtout essayant de la réconforter. Marie Barbe s’inquiète en voyant la tournure que prennent les événements et elle pense immédiatement à sa famille. Maguy a le temps de lui dire qu’elle avait entendu des bruits de mitraille dans le secteur de la maison Blanc/Cazenave. Reprenant son vélo, elle se dirige vers la maison Durand où, peu de temps avant, elle avait laissé ses enfants. Ceux-ci ne l’attendaient plus. La mort était passée par là, dans toute son abjection. La maman le comprit vite et sa gorge se serra. Ils étaient comme endormis dira-t-elle plus tard. L’un avait les yeux légèrement ouverts, le bruit de la détonation assassinant son frère jumeau l’ayant peut être réveillé. L’autre les avait fermés, il avait quitté le monde le premier.

Folle de douleur, Marie Barbe se dirige ensuite en courant vers la maison familiale, laissant la bicyclette sur place. Elle y découvre sa mère ensanglantée, sa sœur et son mari étendus morts devant la porte ainsi que leur fille Paulette, morte elle aussi. Meurtrie à nouveau, elle s’élance au pas de course vers Cassagne où son frère Jean Blanc doit se trouver.

Jean-François Blanc dit «Mérotte» ayant échappé au massacre dans sa maison, place de la mairie, se sentit le courage de traverser le village pour se rendre à la maison Blanc/Cazenave, où il prenait pension pendant la journée et vérifier si, par malheur, quelque chose serait arrivé chez eux. Il découvrit bien sûr en chemin Jacques Carbo, la famille Audoubert tous assassinés sur la route où dans les fossés, puis constata ce qui s’était passé chez les Cazenave. Il avait préalablement vu aussi, devant sa propre maison, la famille Fulbert anéantie. C’est ainsi qu’il descendit rapidement vers Cassagne, prévenir Jean Blanc du malheur survenu à Marsoulas. On vit donc arriver «Mérotte» devant l’école libre des filles, dont mademoiselle Bourdette était directrice, et annoncer à celle-ci en bégayant ce qui c’était passé au village voisin. Elle ne le crut pas, et connaissant son léger penchant pour la boisson, lui recommanda de «boire un peu moins». Surpris, il lui répondit : «c’est toi qui est saoule, vieille maquerelle!», puis il continua la route vers la maison Saleich où Jean Blanc était censé être. Il pénètre dans la salle à manger où était rassemblée toute la famille, à l’exception de celui qu’il cherchait. Jean Blanc était en effet caché au jardin du Barry avec Dame depuis le passage du convoi, aux aurores. L’annonce fut des plus brève : «A la maison, ils sont tous morts, partez !». Ida lui répondit «Qu’est-ce que vous dites ?» et il répéta la phrase, puis certain d’avoir été compris, se dirigea vers l’extérieur et reprit la route vers Marsoulas. Sa mission était terminée, la population de Cassagne était prévenue, il repartait rejoindre les siens.

« Mon père Jean Saleich était déjà parti avec le bétail vers la «Rivalère» et ne restaient dans la maison que ma mère Ida, ma sœur Marinette, et vous deux, Jojo et toi (Jean-Pierre). Nous avons vite jeté dans un sac une bouteille de lait, un saucisson et un morceau de pain. Je suis allé prévenir «tantine Aimée» la voisine, qui à son tour devait avertir Mme Cassède. Ni l’une ni l’autre ne prirent la décision de s’échapper. «Tantine Aimée» me répondit : «je vais me mettre ma plus belle robe, et je les attendrai». Son mari était prisonnier en Allemagne, et leur neveu Jean Albert était parti en Espagne avec d’autres camarades du village pour échapper au STO. Seule la voisine d’en face m’avait confié un sachet dont je ne connaissais pas le contenu, en me précisant de le garder précieusement. Plus tard, nous sûmes que ce sac contenait des bijoux, et quelques pièces de valeur.»

La décision est donc prise d’aller se cacher dans les bois de «Montadet» qui, proche des prairies où Jean Saleich faisait paître son troupeau, surplombent le ruisseau du Lens. D’ailleurs, Ida son épouse, se sépara du groupe pour aller le rejoindre par la route. Le reste de la famille s’engouffre donc sous la porte du Barry et descend vers les jardins par le petit sentier contournant le «Casteras». Mme Ribet, institutrice du village, arrive à son tour, une casserole fumante au bout des doigts, suivie par sa fille Suzette et ses beaux-parents François et Joséphine. Ils consommeront ce ragoût de fèves à midi sonnant au clocher de Cassagne, assis en bordure du chemin longeant la motte féodale. Après quoi, ils poursuivront leur chemin jusqu’à «L’Estourelle».

Mais Jeannette Blanc s’arrête devant le jardin potager où se cache son mari. Elle lui annonce que des événements se sont produits à Marsoulas, peut-être chez lui, mais sans plus de précisions. Jean Blanc décide donc de se joindre au groupe en attendant de plus amples explications pour pouvoir prendre une décision. Celle-ci était certainement déjà prise puisque rencontrant Ferdinand Canal qui gardait ses bêtes en bordure du Lens, il lui recommanda son épouse et sa famille au cas où quelque chose lui arriverait. Puis le groupe se scinda en deux, Jean Blanc, son épouse et leur fils aîné Jojo prirent la direction des bois, tandis que Marinette Saleich amena Jean-Pierre au pré de la «Piche», non loin de la source.

Un avion survolait la zone boisée et les prés, poussant les fuyards à se tapir dans les fourrés de peur d’être repérés. Ainsi une grande partie des habitants de Cassagne se retrouvèrent dans les hameaux. Les derniers arrivés rejoignant ceux qui avaient quitté le village aux premières lueurs du jour. Jean Duprat et Bergeruc par exemple virent arriver successivement à Guirauton : Raymonde Canal, son fils Jean-Claude, Léonie de Betchat et quatre gendarmes venus de Cassagne. René Amiel dut revenir au village chercher du pain afin de préparer, avec son épouse Yvonne, le repas de midi pour tout le monde, consommé rapidement entre les rangées de maïs afin de ne pas attirer l’attention d’éventuels mouchards.

Marie Barbe s’élance donc vers Cassagne mais cette fois en courant. Odette Sarradet dans la partie haute du village se rappelle l’avoir vu passer, échevelée, suffoquant, vêtue de noir et pieds nus. Elle s’arrête ensuite devant la boulangerie où Madame Canal ne peut comprendre les quelques paroles émises, se rapportant aux jumeaux. Alexandre qui enfournait le pain sort précipitamment et saisit que Marie Barbe recherche son frère. Tout deux prennent aussitôt le chemin du Barry qui domine la vallée et s’époumonent en appelant Jean Blanc. De l’épicerie jusqu’au «plan de Cassagne», ils parcoururent ainsi près d’un kilomètre en renouvelant l’appel que leur renvoyait l’écho.

Ayant eu l’assurance d’avoir été entendu par son frère qui lui avait répondu, Marie Barbe, puis Alexandre, repartent vers le village, lui pour continuer son travail au fournil, elle pour rejoindre au plus vite Marsoulas où elle avait abandonné les siens.

Dans le village fantôme de Marsoulas, les choses vont se précipiter. Pendant les allées et venues de Marie Barbe et Mérotte recherchant Jean Blanc à Cassagne, les survivants de la tuerie tentent de réagir et de comprendre ce qui s’est passé autour d’eux. Irénée Castex avait accompagné Maguy Sire, blessée, et les siens, à la ferme Cadorre aux Castets.

Adélaïde était descendue à la maison Dedieu découvrir le massacre perpétré par les S.S. et soutenir son fils agonisant et sa belle-fille blessée. Paul Cazenave avait abandonné sa cache dans le grenier de la maison familiale. Il était allé frapper à la porte de Pierre Galli, chemin de la fontaine, où ce dernier demeurait avec son épouse et leur file Germaine. Découvrant la terreur de l’enfant, Pierre Galli l’amena chez Simone Hener, apercevant en passant le drame survenu dans la maison Blanc/Cazenave. Anna Rogale avait quitté la maison effondrée s’extirpant du dessous de l’escalier pour aller voir son frère Joseph toujours caché chez lui près de la fontaine. Chemin faisant, elle fit la rencontre d’un soldat qu’elle prit pour un Allemand et s’enfuit. Ce n’était autre que «Espérance» le maquisard rescapé qui, sorti de l’église, tentait de regagner les bois. Il devait en outre rencontrer un peu plus loin Alfred Sahuc lui même caché dans la forêt avoisinante. Chez Elise Montariol et Simone Hener la tension était à son comble. Elise était descendue accompagner Adélaïde pour la macabre découverte chez les Dedieu. Simone quitte à son tour la maison en passant derrière chez Walbott et découvre les morts de la famille Cazenave. Elle saura plus tard que Paul l’appelait du haut du grenier, mais terrorisée, elle ne l’avait pas entendu. Elle se rappelait que peu de temps auparavant les Allemands l’avaient surprise dans la cour de la maison et l’avaient forcée à rentrer avant de perquisitionner, les armes pointées sur elle. Une balle tirée par l’assaillant était venue se loger dans un coin d’armoire. Elle se rappelle aussi qu’après le départ des ennemis, Lili Rogale avait tenté vainement de traverser la route pour les rejoindre.

Les deux femmes revenues à la maison, et ayant recueilli Paul Cazenave, la décision est prise d’aller chercher Joséphine, grièvement blessée, la gorge ouverte et la carotide apparente. «Mérotte», revenu de Cassagne, et Elise, vont relever la blessée afin de l’amener en lieu sûr, loin des morts. Ils l’installent au rez-de-chaussée de la propre demeure d’Elise.

Dans le haut du village, les rescapées tentent eux aussi de fuir, ne sachant pas si les troupes reviendraient. La fusillade continuait vers Betchat et ne laissait présager rien de bon.

Marie Louise Ségur et ses deux filles Yvette et Mauricette ainsi que Henri Barthet entreprennent de sortir et d’aller vers le fond du village. Ils rencontrent aussitôt le corps sans vie de Guillaume Barthet et commencent à comprendre. Les pas s’accélèrent et tous se retrouvent bientôt chez Elise Montariol où sont déjà Joséphine Blanc et Paul Cazenave. En quittant sa maison, Mauricette avait essayé de ramasser une grenade à main laissée par les SS devant chez Landelle. Sa mère l’en dissuada. Dans l’immeuble occupé par la famille Dupuy à l’étage, Reine, la mère, a préparé les enfants. Ils partent tous vers le quartier de l’église. Au même moment, Paulette Barthet et son mari, habitant la maison en face, se joignent à eux. En passant devant la maison Biros , Manuel Hernando sort accompagné de son épouse Marie, de sa belle-mère Anna Biros et de la petite Denise Ardichen. Le petit groupe s’arrête au croisement de la route de Salies, face à la mairie, et décide de prendre le chemin menant à la grotte et à la vallée du Lavin. Avant même d’atteindre le chemin de la Fontaine, une sorte de Jeep, arrive venant de Salies. Aussitôt, tout le monde se jette dans les fossés et tente de remonter par le petit chemin menant chez Walbott et la grande voie qui traverse Marsoulas. La voiture passée, la route étant à portée, la surprise est grande de découvrir Jacques Carbo mort au milieu de la chaussée ainsi que la famille Audoubert gisant près du fossé. La peur les envahit tous. Manuel Hernando dirige le groupe sur la droite, contournant la maison Rogale effondrée, leur intimant doucement l’ordre d’aller se réfugier dans les bois du Barrail. Pour sa part, il part vers la gauche ayant le pressentiment que quelque chose s’était passé dans la ferme Blanc/Cazenave. Il aperçoit devant la porte, Jean et Julie Cazenave, morts, et un peu plus loin, Paulette qui agonise encore, couchée sur le coté. Il la retourne délicatement, face vers le ciel puis, la voyant sans vie, part rejoindre les siens. C’est à ce moment là que Manuel Hernando voit traverser le maquisard “ Espérance ” fuyant vers la fontaine, Marie, son épouse, l’ayant auparavant vu sortir de l’église.

Un peu plus haut dans le village, Jean Castex longtemps caché dans le grenier à foin se dirige lui aussi vers le bois du Barrail où il retrouve ses voisins, M. et Mme Bonneil. Henri Barthet et son épouse étaient déjà dans ce même bois, une valise à la main, lorsque la petite troupe conduite par Manuel Hernando les rejoint. Tous se regroupent pour se diriger vers les hameaux de Cassagne que sont le Gébraou et Savis afin de raconter à ceux qui étaient déjà arrivés ce qui s’était passé. Et toujours sur leur tête, la présence de cet avion espion qui survolait en rase mottes la marche des fuyards.

Averti par sa sœur et Alexandre, Jean Blanc , son épouse et Jojo, remontent à Cassagne, et rejoignent leur maison où Ida Saleich les attend. C’est à cet instant seulement que Jeannette annonce à son mari ce qui s’est réellement passé à Marsoulas, tel que “ Mérotte ” l’a relaté. La réaction est immédiate, Jean Blanc va chercher sa bicyclette et décide de monter seul à Marsoulas. Jeannette veut l’accompagner à tout prix, malgré les supplications de sa mère Ida : “ Reste ici, tu vas encore aller faire deux orphelins de plus !”. Le couple s’élance donc vers Marsoulas, laissant Jojo, âgé de 9 ans dans les bras de sa grand-mère.

Dans la rue principale, pas une âme qui vive. Au bout du village, seuls le père d’Emile Coumes et Monsieur Ruffé discutent sur la placette et essayent de les dissuader de continuer leur route tant est grand le danger. Rien n’y fait. Arrivés à la première maison de Marsoulas chez Dedieu, ils posent les bicyclettes et rentrent. Jeanne, la mère, est là, blessée, au chevet de sa fille Thérèse. Elle dit à Jeannette : “ Elle vient de mourir. Nous nous sommes préparés à comparaître devant Dieu et nous avons récité l’Acte de contrition”. Edmond Jean gisait devant la fenêtre, les yeux tournés vers la prairie.

Ayant pris la mesure du drame, Jean Blanc et son épouse se dirigent vers la maison familiale et découvrent l’indicible : sœur, beau-frère et nièce sont étendus à leurs pieds, terrassés par les balles assassines. Ils n’aperçoivent ni Joséphine, ni Paul, ni Gaston. Ils partent vite chez Durran, la maison abritant les deux jumeaux qui sont morts eux aussi. Leurs mère est à leur côté, hagarde. Elle prévient son frère qu’une bombe a été déposée par les allemands dans la maison Blanc-Cazenave et que leur mère Joséphine blessée a été transportée chez Elise Montariol où se trouve aussi Paul. Marie Barbe a perdu toute notion du danger. Elle veut interpeller les assassins qui patrouillent encore dans le quartier pour leur demander d’enlever la bombe. Jeannette à juste le temps de lui faire baisser les bras. Tous trois contournent la maison pour découvrir le jeune Gaston assassiné devant la porcherie. Reste à voir dans quel état se trouve Joséphine. Jean et Jeannette pénètrent pour cela dans la cour de chez Elise Montariol . Une vingtaine d’allemands y sont déjà, l’arme au pied pour certains. Ce ne sont pas les mêmes que ceux venus perquisitionner à l’aube ; il y a beaucoup plus de gradés. Jeannette s’affole et tente de s’enfuir vers la grille séparant la cour du chemin menant chez Walbott. Elle est mise en joue ainsi que son mari et tous deux sont poussés dans la maison. Jean Blanc aperçoit sa mère couchée, se met à genoux, et des larmes sortent de ses yeux. Un officier lui demande : “ Qui est-ce ? ”. Il répond : “ Maman ”. Voyant le sang couler de son cou, l’allemand s’exclame : “Pauvre femme ! ”

Marie Montariol qui n’avait peur de rien, s’est hasardée à dire : “ Voyez ce que vous avez fait ! ”. Mais un, “ Ca suffit ! ”, sorti de la bouche de l’allemand calme toute velléité.

Jeannette Blanc prend alors son filleul Paul dans ses bras, réalisant qu’il est le seul rescapé de la famille. Une tristesse infinie envahit ses pensées lorsqu’elle s’aperçoit que l’enfant, traumatisé, rit.

Bouleversé, Jean Blanc se doit à une autre mission. Il n’oublie pas qu’il est le maire de la commune. Passant la porte et le portail au milieu des fusils, il s’en va vers la mairie où le devoir l’attend.

Depuis le départ des assassins vers Betchat, à l’arrivée des informations apportées par “ Mérotte ” et Marie Barbe, les esprits se sont éveillés dans les villages avoisinants.

Le docteur Barbé , a été prévenu à Salies-du-Salat et monte faire le tour des victimes afin de prodiguer les premiers soins. Emmanuel Dedieu est transporté à Cassagne au café Montané.

Jeannette Prévot qui se trouvait à Cassagne chez sa mère, Laurence Montané, rend visite à Marcelle Castex , épouse de Paul, au Pré-Commun. On leur dit que Maguy Sire est blessée, dans une cabane sur la route des “ Castets ”. Elles s’y rendent mais ne la trouvent pas. Jeannette laisse le soin à Marcelle de continuer la recherche jusque chez Cadorre, puis part chercher de l’aide, en particulier un moyen de transport pour évacuer les blessés. Au presbytère de Cassagne, Elisa, la gouvernante du curé, lui suggère d’utiliser le corbillard. A Mazères, M. Ané père, lui propose de prendre sa camionnette bâchée. De nombreuses autorisations furent nécessaires de la part des autorités locales avant de voir partir le véhicule. M. Robert Lacroix fait tout son possible pour que le convoi sommaire puisse être constitué. Il dépêche Madame Maurel, infirmière de l’usine, pour accompagner Louis Ané et Paul Gales dans leur mission. Ainsi préparée, la camionnette se dirige vers Marsoulas. Un drapeau arborant la croix rouge est attaché à une hampe de fortune, censé les protéger de toute agression. Le véhicule arrive tout de même trop tard pour évacuer Maguy de la ferme Cadorre aux “ Castets ” où elle a reçu les premiers soins. Elle est en fait transportée jusqu’au café Montané où tous les blessés sont regroupés au moyen d’un bayard, sorte de plateforme à quatre bras destiné à transporter des matériaux et porté par deux hommes. Le père de Micheline Dupuy participe à l’opération, ainsi que Elie Caujolle et Jean-Marie Cazabon, tous trois montés de Cassagne.

M. André Lacroix, maire de Cassagne, essayait de rassurer les administrés restés au village et demandait à ceux qui s’étaient réfugiés dans les bois, de revenir dans leurs maisons.

Marinette Saleich, après le départ de sa sœur et de son beau-frère, était restée seule avec Jean-Pierre, dans les prés du Lens. Elle remonta chez elle, et sur invitation de sa mère Ida, alla voir son oncle Pierre Ousset et son épouse Jeanne à coté de la mairie pour les informer de la situation. Elle aperçut sur la place le Docteur Courtade de Martres-Tolosane, fanion de la Croix-Rouge à la portière. Il était venu voir Mme Canal, native de Martres, qui lui avait porté des informations pessimistes dans son cabinet de consultations. Il avait appris en particulier la tuerie de Marsoulas, mais aussi que les Allemands s’étaient livrés à des viols et autres atrocités. De plus, Alexandre Canal aurait été vu traversant Martres dans un camion amenant des prisonniers vers le camp de Noé. Rassuré, il était reparti chez lui, après avoir conseillé à Marinette Saleich de rentrer vite chez ses parents.

Au presbytère de Cassagne, l’Abbé Saves, handicapé, n’avait pas bougé. L’Abbé Buffière prévenu, s’était réfugié dans les bois. Seul l’Abbé Sourt, curé-desservant était monté à Marsoulas pour bénir les victimes.

L’Abbé Buffière et Mme Ribet, institutrice à Cassagne, remontèrent assez vite au village. Alexandre Canal ayant terminé son pain, amena l’abbé auprès des victimes afin de bénir les morts. Tous deux revinrent suffoqués, abasourdis par la vue de tant d’horreurs. M. André Lacroix partit lui aussi, accompagné par Mme Ribet, afin de réconforter les rescapés et les familles des défunts.

L’arrivée du maire et du sous-préfet

A Marsoulas, Jean Blanc se dirige vers la mairie. Un attroupement s’est formé car M. Dautresme, sous-préfet de Saint-Gaudens, vient d’arriver, la voiture ornée du drapeau officiel. Ils avaient auparavant crevé un pneu devant la boulangerie de Cassagne. Le Sous-Préfet, en habit, accompagné d’un officier Allemand et d’un chauffeur, avait salué Mme Canal en la priant de ne pas s’affoler. Parvenus à Marsoulas devant la mairie, et ayant découvert le carnage, la discussion s’était engagée entre le sous-préfet, l’officier qui l’accompagnait, et les gradés ayant participé au massacre, qui donnaient leur version des faits. A son approche, Jean Blanc est vite encerclé et prié de s’expliquer sur la présence de terroristes sur sa commune. Balbutiant quelques explications vites traduites par un SS d’origine alsacienne, ou connaissant le français, le maire se sent déjà condamné. Paul Galès et Louis Ané sont dans les parages, avec leur véhicule aux couleurs de la Croix-Rouge. Jean Blanc qui les connaît, les interpelle et leur demande d’aller prévenir son épouse chez Elise Montariol. C’est Louis Ané qui se dévoue, espérant ramener Jeannette Blanc auprès de son époux. En le voyant arriver, et apprenant que son mari la réclame, elle pense au pire. Alors qu’elle se prépare à le suivre et que les minutes semblent interminables, Paul Galès arrive à son tour dans la cour, et arrête la malheureuse toute affolée. «Ce n’est plus la peine d’y aller» dit-il. L’inquiétude grandit encore chez Jeannette pensant qu’il était déjà trop tard. Mais non, Jean était sauvé. Un réfugié alsacien se serait joint à l’attroupement devant la mairie et aurait affirmé que Jean Blanc n’était pas un mauvais maire. Le sous-préfet Dautresme écrira plus tard que lui aussi avait contribué à lui sauver la vie, en déclarant à l’officier allemand que le premier magistrat de la commune, entrepreneur de son état, s’apprêtait à ériger un monument à la gloire du Maréchal Pétain. Puis, vint l’heure du constat. Le maire, le sous-préfet et les autorités nazies voulurent visiter les maisons où s’entassaient les victimes. C’est au cours de ces visites que le sous-préfet, put prendre quelques clichés, dans le dos des Allemands, témoignages irréfutables de leur barbarie et de leur lâcheté.

Son appareil photo était dissimulé dans l’étui du revolver que sa fonction lui permettait de porter. Les clichés furent ensuite produits au procès de Nuremberg, afin que le monde civilisé puisse découvrir des preuves sur les exactions commises par les SS auprès de populations civiles innocentes.

Le sous-préfet et le maire échangent ensuite quelques mots, afin de mettre en place le programme à venir : évacuation des derniers blessés, ramassage des corps et ouverture d’une chapelle ardente, commande des cercueils et fixation de la date et de l’heure des obsèques. Pendant ce temps, Marie Barbe était repartie chez Durand procéder à la toilette mortuaire de ses deux petits jumeaux.

M. Robert Lacroix, informé des besoins, avait envoyé à Marsoulas un camion à plateau de l’usine afin de recueillir les morts. MM. Lattre, François Escaich et Jean Daran, employés aux Etablissements Lacroix, furent chargés de la terrible besogne.

Maison après maison, ils ramenèrent les corps que les allemands ou les miliciens venaient identifier, surtout pour vérifier qu’ils étaient vraiment morts. Ils ne prirent pas les deux petits jumeaux : Jeannette Blanc et Marie-Louise Ségur les portaient dans leurs bras. Elles remontèrent la rue centrale vers la mairie transformée en chapelle ardente , en suivant le camion mortuaire. Anna Soum voulut les voir, mais déjà les bras des porteuses s’engourdissaient sous le poids des enfants et elles finirent par les poser délicatement à l’arrière du camion.

Tous les corps furent répartis à même le sol dans la petite et unique salle de la mairie.

Les deux petits jumeaux furent placés sur la table du Conseil municipal. Gaston Cazenave avait la moitié de la tête emportée, Paulette la poitrine enfoncée, autant de détails qui marquèrent à jamais les hommes effarés devant un tel charnier.

La tâche achevée, le camion repartit vers Mazères et quelques habitants de Cassagne vinrent jusqu’à la mairie. Certains se souviennent avoir vu Alfred Dargein, Olympie Daran, Hélène et Michel Dencausse, Elie Caujolle. Louis Landelle avait fait appel à Antonin Barrau, lui demandant de venir l’aider à vider les poches des morts et à répertorier ce qu’ils y trouvaient. Manuel Hernando, avec Marie, son épouse, avaient couvert les corps des petits jumeaux avec deux rideaux, puis Manuel était reparti vers Savis, chez la famille Ballongue : il avait auparavant aperçu André Léon venant lui aussi à la mairie. La journée n’en était pas pour autant finie.

Sur le toit de l’église, personne n’avait remarqué,dans la précipitation, le corps sans vie de Camille Weinberg tué le matin par les allemands. Il fallut le descendre, à la tombée de la nuit, à l’aide de cordes. Son corps fut transporté à la mairie en cachette et placé sous la table, recouvert par un drap, afin que la milice ou la Gestapo ne puissent l’identifier.

Jean Blanc et son épouse étaient redescendus à Cassagne voir Jojo et Jean-Pierre ainsi que le reste de la famille. Ne voulant pas laisser Marie Barbe toute seule, son frère demanda à Marinette Saleich si elle pouvait monter à Marsoulas. Elle prit donc sa bicyclette et gagna Marsoulas, ne sachant pas ce qui l’attendait. Voici le récit qu’elle fit de cette soirée :

«Sur la route, entre les deux virages, il y avait une bombe. Je n’ai vu personne. J’ai été chez Elise et j’ai retrouvé Marie Barbe et Paul. Il faisait froid, nous avons allumé le feu. Marie appelait Paul, celui-ci appelait son père et sa mère, et elle même appelait les enfants aussi. Après cela, elle m’a demandé si je voulais aller avec elle couvrir les morts. Nous sommes parties chez Blanc pour chercher des draps, des bougies et des allumettes. La nuit tombait et les camions allemands circulaient encore. Rentrées dans la mairie, nous avons nettoyé les victimes avant de les recouvrir avec les draps. Nous avons attendu la nuit noire et nous nous éclairions à la bougie, discrètement, par peur d’être repérées. Nous sommes rentrées chez Simone, Paul s’étant endormi. Marie Barbe pleurait et appelait Coco - Michel. Nous avons monté le petit à l’étage où il a passé la nuit entre Simone et moi.»

Vers Minuit, on apprenait qu’Emmanuel Dedieu, transporté à l’hôpital de Saint-Gaudens, n’avait pas survécu à ses blessures.

A Cassagne comme à Marsoulas, beaucoup étaient rentrés au village le soir venu, mais d’autres continuaient à se cacher dans les hameaux.

Le dimanche matin, chacun s’était réveillé, ne réalisant pas ce qui était arrivé. Les familles extérieures prévenues vinrent visiter leurs proches meurtris ou décimés. Le sous-préfet avait réquisitionné les entreprises et artisans susceptibles de pouvoir réaliser les vingt-huit cercueils nécessaires à l’inhumation prévue pour le lundi matin. Il avait été convenu que dans la mesure du possible toutes les victimes reposeraient dans une fosse commune creusée dans la terre, près du clocher, contre le mur, côté route. Les ouvriers de l’usine Lacroix vinrent une fois de plus aider les populations dans ce travail préparatoire. Informés par la sous-préfecture du déroulement prévu des obsèques, les allemands refusèrent, dans un premier temps, une cérémonie religieuse. L’abbé Sourt dut les convaincre de permettre celle-ci en leur précisant que les morts étaient, par définition, inoffensifs et que leur inhumation ne pouvait interférer sur l’issue de la guerre.

Cette journée du dimanche parut durer une éternité. La porte de la mairie qui, la veille au soir, avait été fermée à clé, fut ouverte à nouveau, dès l’aube. En début de matinée, un camion de l’entreprise Bize, transporteur à Saint-Gaudens, apporta les cercueils après les avoir collectés sur plusieurs sites. M. Rigaud, retraité, se souvient avoir confectionné, pendant la nuit, quatre cercueils en bois dur. Il habitait Valentine et ne travaillait pas ce samedi-là. Son patron, Bertrand Fourment, l’avait rappelé pour satisfaire la commande.

Les entreprises Bataille, de Salies-du-Salat, Puisségur, Lardies et Darbon, de Saint-Gaudens prirent leur part à l’ouvrage afin de respecter les délais. L’usine de Mazères confectionna les cercueils manquants dans son unité de menuiserie. Durant toute la journée, certains habitants des communes voisines vinrent se recueillir devant les victimes alignées, par familles, à la mairie. Le sous-préfet était revenu à Marsoulas pour des raisons administratives. Les familles des victimes se préparaient à enterrer leurs morts. La Gestapo et la milice continuaient à patrouiller mais plus discrètement que la veille.

Vers 18 heures, des ouvriers de l’usine Lacroix, aidés par Michel Dencausse et Elie Caujolle de Cassagne, commencèrent la mise en bière. Certains corps étaient drapés, d’autres non. Les petits jumeaux étaient vêtus de leur belle aube brodée qu’ils devaient étrenner pour les cérémonies de la Fête-Dieu, prévues ce jour-même. C’est Paulette Cazenave, gisant à côté d’eux, qui avait brodé ces petits vêtements.

Chaque cercueil reçut une étiquette et la mairie fut à nouveau fermée en attendant le lendemain matin, qui serait jour des funérailles.

La cérémonie des funérailles

Une foule importante garnissait le tour de l’église en ce lundi matin, jour des obsèques. La couleur était au noir, comme celle des coeurs. Les personnalités avaient été déclarées indésirables et la Gestapo, dissimulée, veillait au bon déroulement de la cérémonie. L’office devait se dérouler en extérieur. Un autel avait été dressé à cet effet. La messe fut célébrée par le chanoine Fournier, originaire de Cassagne et archiprêtre de Saint-Gaudens, entouré du curé de Mazères et de Marsoulas, de l’abbé Sourt et de l’abbé Buffière. Tous deux étaient venus bénir les morts le premier jour. Assistaient aussi à la célébration le R.P. Gabriel, franciscain, de passage à Mazères, l’abbé Bréchet, prêtre lorrain résidant à Salies et le R.P. Dario, jésuite, de Cassagne. L’abbé Dencausse, frère de Jeanne Dedieu, rescapée du massacre, était présent ainsi que le curé de Fabas, commune voisine de l’Ariège. La messe de Requiem terminée, les cercueils furent descendus dans la fosse commune, les deux derniers tête-bêche afin d’en y placer le maximum. La famille Cazenave et les enfants Barbe furent inhumés dans le caveau familial : les parents, Jean-Baptiste et Julie, les enfants Gaston et Paulette, plus les deux jumeaux, Claude et Michel.

Camille Weimberg fut enterré dans l’allée centrale où son corps reposa quelques mois avant que sa mère ne le rapatrie vers sa terre natale. On se souvient encore à Marsoulas du casque de soldat surmontant la croix sur sa tombe.

MM. André Lacroix, maire de Cassagne et Robert Lacroix, maire de Mazères étaient aussi présents, ainsi que certains résistants cachés dans la foule.

Il n’y eut pas de discours. Jean Blanc prononça une courte allocution au double titre de maire et de membre des familles des victimes. Il lança un message d’espérance aux vivants et dit «A Dieu» aux innocentes victimes en souhaitant les retrouver un jour. Le morceau de papier sur lequel ces quelques mots étaient griffonnés était recouvert de larmes épaisses.

M. le sous-préfet Dautresme parla au nom de l’Etat et souligna le sacrifice des martyrs, souhaitant que celui-ci ne soit pas inutile et qu’il permette à la France éternelle de retrouver sa grandeur et sa dignité.

Pendant le déroulement de la cérémonie, un avion continuait à survoler à rase mottes les lieux du drame, prouvant par sa présence la volonté des assassins d’écraser à jamais ce village de morts.