Le nom de famille «Bartier» apparaît à tout moment dans l’histoire d’Aspet.
On ignore l’origine de la famille, mais dès la première moitié du XVIe siècle, on assiste au développement de deux branches.
C’est le branche cadette, dite «Montroux», qui nous occupera ici.
Une famille de bourgeois
A trois générations de «marchands» succèdent deux générations d’«hommes de Loi».
Le terme de «marchand» est très vague et il peut recouvrir des réalités très diverses. Au XVIe siècle, il désigne tous ceux qui font commerce. Dans une ville comme Aspet dans laquelle le commerce généré par les foires et les marchés est le moteur de la vie économique, le marchand est déjà un bourgeois. Assez souvent il est aussi prêteur.
A la quatrième génération un pas est franchi. Jean Bartier est avocat.
Il ne faut pas oublier qu’Aspet, après le rattachement à la Couronne, est le siège d’une châtellenie et qu’un juge royal y siège. D’où la présence d’hommes de loi. José Barès précise qu’à la veille de la Révolution, il y avait huit avocats à Aspet.
Quant aux notaires, ils étaient trois (Bartier, Ribet et Dubourg).
La dernière génération
La lignée aspétoise des Bartier s’est éteinte avec la génération contemporaine de la Révolution de 1789.
La destinée de chacun des deux frères nous est connue. L’un, Jean-Marie, embrassa la carrière ecclésiastique, l’autre, Jean-Etienne, prit celle des armes. Leurs destins se sont croisés à plusieurs périodes de leur existence.
1. Jean-Marie Bartier
Jean-Marie Bartier avait été ordonné prêtre en 1781. Il se fixa à Aspet avec une charge d’obituraire, ce terme désignant les prêtres qui étaient chargés de célébrer des messes pour les défunts.
En 1791, après avoir prêté serment à la Constitution civile, il devient curé du Fauga. Mais avant même son installation, l’hostilité de la population se manifeste. En 1797, il revient à Aspet et s’installe, sans doute, dans la maison familiale (siège actuel du Trésor Public). Sans avoir le titre de curé, il en accomplit les fonctions.
Son frère, dont nous parlerons plus loin, intervient auprès de l’archevêque de Toulouse pour lui faire obtenir la cure : on est sous le régime concordataire, et les nominations ecclésiastiques intéressent aussi bien le pouvoir civil que les autorités religieuses.
L’abbé Bartier n’obtient que la cure de Salies.
En 1807, Portalis, ministre des Cultes, transmet à l’archevêque de Toulouse une lettre du Prince Eugène-Napoléon, vice-roi d’Italie, qui émettait le voeu que «le zèle du curé d’Aspet et les services rendus par lui soient récompensés par une place de chanoine honoraire». L’archevêque pouvait difficilement refuser.
Mais son «dévouement» à l’Empereur n’est pas oublié au retour des Bourbons. Les Cent Jours lui offrent l’occasion de manifester de nouveau sa flamme bonapartiste. Aussi, à la seconde Restauration, les notables de la ville obtiennent son changement.
Il est nommé curé dans une petite paroisse de l’Ariège, mais sûr des réactions des habitants, il refusa de s’y rendre. Il fut même «interdit», avec défense de revenir à Aspet. Il resta donc à Toulouse jusqu’en 1826, où on lui donna une petite cure. Autorisé à revenir à Aspet, il y mourut en 1829.
En 1837, la maison familiale sera vendue à la commune.
Miègecoste
Le seul «mérite» de l’abbé Bartier, ce fut, sans doute, la reconstruction de la chapelle de Miègecoste. On sait qu’en 1809, pendant la procession des Rogations, il prononça un discours émouvant sur les ruines du Sanctuaire, détruit à la Révolution.
Les travaux furent menés rondement et l’inauguration eut lieu le 6 mai 1810.
L’abbé Ousset n’est pas très tendre avec l’abbé Bartier. Il parle de ses erreurs, de ses «défaillances dans la foi», de «son esprit d’intrigue». L’engagement de son frère dans l’aventure napoléonienne lui fit souvent, c’est vrai, perdre la mesure.
2. Le maréchal Bartier, baron de Saint-Hilaire
Le frère de l’abbé Bartier embrassa la carrière militaire. Il était né à Aspet le 7 mars 1766.
Il exerce quelque temps la profession d’avocat, mais, comme le note J. Barès, «très vite il s’enflamme pour les idées nouvelles et dès le 20 août 1789 il est lieutenant des Grenadiers dans la Garde Nationale d’Aspet».
En décembre 1791, il est élu capitaine des Volontaires Nationaux d’Aspet.
Il participe à la campagne d’Italie et fier des premiers succès remportés, il cherche à faire reconnaître ses mérites par une nomination au grade d’adjudant général, chef de bataillon.
Au siège de Rozes (Catalogne) il reçoit un coup de sabre à la tête et très vite sa santé se détériore. Il continue cependant à participer à des actions spectaculaires. Il s’illustre surtout à la bataille de Montréjeau, le 19 août 1799.
Il se lie au maréchal Lannes, qui favorisera la suite de sa carrière. C’est ainsi qu’il participe au coup d’Etat du 18 Brumaire en tant que Chef d’Etat-Major de l’Infanterie.
Disgrâce et retour
Pour une sombre affaire de «vente de congés» il est mis à la retraite. Dès lors commence une longue série de démarches et d’intrigues pour rentrer en grâce. C’est au maréchal Lannes qu’il devra son retour sur les champs de bataille. A Austerlitz, il est décrit comme «infatigable à la guerre, inébranlable au feu». Il sera fait successivement Chevalier de la Couronne de Fer, et Officier de la Légion d’Honneur.
Baron de Saint-Hilaire
Sur le champ de bataille de Wagram en juillet 1809, il est fait Baron de Saint-Hilaire par l’Empereur.
Sa santé (difficultés respiratoires, rhumatismes) l’oblige à demander un congé pour prendre les eaux de Luchon, mais en 1811 il regagne son poste.
Maréchal de camp
A la veille de la campagne de Russie (juin 1812), il est promu Maréchal de camp.
Il fait partie de l’arrière-garde de la Grande Armée et à ce titre participe à la bataille de la Bérézina. «Le général Bartier, note J. Barès, se tient à la tête de ses troupes avec son courage habituel, est très gravement blessé par une balle qui vient se loger dans le bas-ventre après avoir coupé le cordon spermatique. On ne put jamais l’en retirer.»
Fonctions administratives
Ecarté du service actif, le baron de Saint-Hilaire est nommé commandant du Département de la Haute-Garonne. Le département est particulièrement exposé : les troupes de Wellington remportent des succès dans le Sud-Ouest.
Occupé à l’organisation générale de la défense de Toulouse, le Baron de Saint-Hilaire ne participe pas directement à la bataille qui se déroule aux portes de la ville le 10 avril 1814. Il est cependant fait prisonnier par les anglais mais rapidement relâché.
La Restauration
Jean-Etienne Bartier ne tarde pas à faire allégeance à la Restauration. Il obtient même la Croix de Saint-Louis en 1815.
Mais les choses se gâtent après les Cent Jours. En avril 1816, il est assigné à résidence à Poitiers, sa présence étant dangereuse dans son pays.
Il a pourtant une consolation grâce à la confirmation par le Roi du titre de baron de Saint-Hilaire pour lui et pour sa descendance mâle.
Mais le moment de la retraite définitive a sonné.
Il est difficile d’imaginer qu’il puisse se retirer à Aspet où il était revenu régulièrement pendant la période faste. En effet, le maire d’Aspet, Moncaup-Déqué aussi bien que son adjoint étaient intervenus auprès des autorités en sa défaveur.
Il se retirera donc à Huos où sa femme avait une belle propriété, «Les Tilleuls», qui existe encore.
Il devint un temps maire de cette commune, proche de Montréjeau et même conseiller général du canton de Saint-Bertrand.
L’affaire du mariage
Jean-Etienne Bartier avait épousé Melle Fadeuilhe. Le mariage avait eu lieu en grande pompe à l’église d’Huos, mais il avait été célébré par trois prêtres «assermentés». Aux yeux de l’Eglise, ce mariage n’était pas valide, mais le pape le régularisa en 1802.
Malgré cela, en 1804, l’abbé Grand, curé d’Huos refusa la communion pascale à Mme Bartier.
Scandale. Intervention auprès du Ministre des Cultes, Portalis, qui informe Mgr Primat, archevêque de Toulouse. Celui-ci intervient en nommant l’abbé Grand curé d’Aspet (!). Scandale. Nouvelle intervention : Jean-Etienne Bartier réussit à faire nommer son frère, Jean-Marie, à la cure d’Aspet : nous en avons parlé plus haut.
Il cessa pratiquement de venir à Aspet, sauf lorsque des circonstances exceptionnelles l’y appelaient. Ce fut le cas, en particulier quand le cardinal de Clermont-Tonnerre vint administrer la Confirmation. C’est au baron de Saint-Hilaire que fut confiée la mission d’adresser le «compliment» de la ville au Prélat.
Il ne quittera plus sa retraite et il mourra à Huos le 19 février 1835, laissant deux filles et un fils, qui vendra la maison familiale, peu après le décès de son père (voir ci-dessous).
Le souvenir
Il peut paraître surprenant que le baron de Saint-Hilaire n’ait laissé aucun souvenir à Aspet.
On comprend un peu cet oubli après ce qui vient d’être dit sur son existence tumultueuse, parcourue de relents de scandales et d’intrigues.
La personnalité de son frère y est sans doute aussi pour quelque chose.
L’acharnement du maire Moncaup-Déqué, ex «Déqué de Moncaup» y fut sans doute pour beaucoup. Ce baron d’Empire faisait figure de parvenu aux yeux d’un homme qui n’avait pas renié ses origines nobiliaires ?
D’autres villes voisines d’Aspet ont été plus reconnaissantes. C’est le cas de Salies-du-Salat, qui a édifié un monument en souvenir de son contemporain, le général Compans, dont la vie, il est vrai, avait été moins «sulfureuse» que celle de Jean-Etienne Bartier.
Peut-être cependant ne serait-il pas incongru d’envisager une concrétisation du souvenir d’une destinée originale. Pourquoi pas par l’apposition d’une plaque sur la maison familiale ?